Situé dans les montagnes verdoyantes du nord de l’Iran, dans la province du Gilan, le village de Masouleh étonne par son implantation étonnante et son architecture vernaculaire en parfaite adéquation avec son environnement. Construites à flanc de montagne, les maisons semblent s’empiler les unes sur les autres : le toit d’une habitation sert littéralement de cour ou de passage pour celle située au-dessus.
Ce système ingénieux, vieux de plusieurs siècles, démontre comment une architecture peut naître du terrain, en respectant ses contraintes et en les transformant en ressources.
Masouleh est situé à environ 1050 mètres au-dessus du niveau de la mer, mais le niveau d’élévation varie de plus d’une centaine de mètres dans le village. En raison de cela, les maisons sont construites en terrasses étagées et sont reliées entre elles. Dans certains cas, les rues publiques sont disposées le long des toits connectés. En raison de sa disposition unique, Masouleh ne permet pas aux véhicules à moteur d’entrer dans les petites rues et de nombreux escaliers rendent impossible la circulation de véhicules dans le village. L’architecture particulière de Masouleh peut être comparée, dans une certaine mesure, au village libyen de Ghadamès, où les toits interconnectés créent un réseau de passages.
Une implantation dictée par le relief
À Masouleh, aucune rue horizontale. Le village est structuré selon la pente, avec un dénivelé qui dépasse les 100 mètres entre le bas et le haut du bourg. Le tissu urbain s’organise de façon organique : les habitations sont accolées, sans plans rigides, et les circulations se font uniquement à pied, par des escaliers, des rampes et les toits. Cette structure ne résulte pas d’une volonté esthétique, mais d’une réponse pragmatique à un terrain escarpé, humide et instable.
La densité est concentrée, mais sans sensation d’enfermement. Les toits plats, omniprésents, deviennent des lieux de vie, de circulation et de sociabilité. Ils forment des plateformes multifonctions, parfois végétalisées ou utilisées pour faire sécher les herbes médicinales et le linge. C’est un exemple remarquable d’urbanisme vertical partagé, sans séparation nette entre espace public et privé.
Des matériaux locaux et adaptés au climat
La maison traditionnelle de Masouleh est construite avec des matériaux issus du site même : terre, pierre, bois et argile. Le cœur structurel repose sur un appareillage de pierres brutes liées avec de la terre ou du mortier, complété par une ossature bois dans les étages supérieurs. Les murs, parfois très épais, régulent naturellement les variations de température. Ils protègent du froid humide de l’hiver et conservent une fraîcheur relative pendant l’été. Cela réduit les besoins en chauffage et en refroidissement.
Les toitures-terrasses, légèrement inclinées vers l’extérieur pour faciliter l’évacuation de l’eau, sont recouvertes d’un mélange de boue compactée et de paille. Ce revêtement, renouvelé régulièrement, est respirant et isolant à la fois. Les fenêtres sont peu nombreuses sur les façades avales, pour limiter l’exposition au vent et à la pluie, mais plus ouvertes côté montagne, favorisant la ventilation croisée.


Une architecture communautaire
Masouleh n’est pas un village de maisons isolées. Chaque logement s’insère dans un ensemble qui fonctionne comme un organisme collectif. L’interdépendance est visible à plusieurs niveaux :
- Circulation partagée : comme les toits sont des lieux de passage, chaque habitant doit tenir compte de ses voisins. Chacun veille à l’entretien et à la propreté des toits qu’il traverse.
- Mutualisation des espaces : les terrasses peuvent accueillir des réunions de famille, des fêtes ou des marchés temporaires. Elles deviennent des lieux de vie communs, souples et polyvalents.
- Maintenance coopérative : la boue des toits est souvent refaite collectivement, à la saison sèche, pour préserver l’étanchéité. Les habitants s’entraident pour éviter les infiltrations.
Cette logique communautaire s’appuie sur des règles tacites mais bien ancrées dans le village depuis longtemps. Elle rend l’entretien des bâtiments plus régulier et renforce le lien social.

Une organisation intérieure sobre et fonctionnelle
Les maisons, souvent sur deux niveaux, sont conçues pour maximiser l’usage de chaque mètre carré. Le rez-de-chaussée est partiellement enterré dans la pente, ce qui permet une bonne isolation thermique. Il est utilisé pour les activités de stockage, parfois pour les animaux. L’étage supérieur accueille l’espace de vie, souvent composé d’une grande pièce multifonction, entourée de niches murales, d’un foyer central ou latéral et de banquettes. Les matériaux d’intérieur sont sobres : planchers en bois, enduits terre, tapis au sol. Chaque élément sert un usage précis, sans surenchère ni superflu.
Les ouvertures sont positionnées de manière stratégique : petites pour limiter les pertes de chaleur, mais bien orientées pour bénéficier de la lumière naturelle. Certaines maisons plus anciennes conservent des éléments décoratifs en bois sculpté ou en stuc, mais l’ensemble reste modeste, tourné vers l’usage.

Préserver sans figer : les enjeux contemporains
Masouleh est classé au patrimoine national iranien et attire de plus en plus de visiteurs. Cela pose des questions d’adaptation et de transmission : comment conserver l’esprit du village tout en répondant aux besoins actuels (assainissement, électricité, confort thermique) ?
Plusieurs projets cherchent à renforcer l’habitat sans le dénaturer :
- Rénover avec des matériaux compatibles (terre stabilisée, chaux, bois local)
- Intégrer les réseaux (eaux usées, ventilation) dans l’épaisseur des murs
- Protéger les toits circulables en les consolidant sans les recouvrir de béton
- Former des artisans locaux à des techniques mixtes traditionnelles/contemporaines
Il ne s’agit pas d’en faire un musée figé, mais un village habité, vivant, évolutif.

Ce que nous enseigne l’architecture de Masouleh
L’exemple de Masouleh rappelle que l’architecture peut :
- S’adapter au relief au lieu de le contraindre
- Optimiser les ressources locales sans surconsommation
- Intégrer les usages collectifs dans la conception même du bâti
- Associer esthétique, sobriété et efficacité spatiale
- Favoriser une densité douce, piétonne, fluide
Ce modèle, bien qu’ancien, entre en résonance avec des préoccupations actuelles : transition écologique, économie de matière, ville résiliente, cohésion sociale. Les maisons de Masouleh ne cherchent pas à imposer une vision. Elles résultent d’une adaptation, d’un savoir-faire local et d’une culture de la cohabitation. Elles montrent qu’on peut construire avec parcimonie, habiter collectivement sans renoncer à l’intimité, et exploiter le relief sans le dominer. Dans un monde où les réponses standardisées dominent l’habitat, Masouleh nous rappelle qu’il existe d’autres voies ancrées dans le réel.