Les maisons troglodytes de Goris

Dans la région du Syunik, au sud de l’Arménie, la ville de Goris est souvent perçue comme l’une des dernières gardiennes d’un mode de vie troglodytique ancestral. Nichée dans un paysage de formations rocheuses spectaculaires, elle abrite un patrimoine rupestre unique ayant plusieurs siècles d’histoire.

« Les touristes sont surpris d’apprendre que les résidents de Goris vivaient dans des maisons troglodytes jusqu’au 18ᵉ siècle », explique Hayk Hakobyan, employé dans un complexe hôtelier local. Il accompagne souvent les visiteurs vers les anciens quartiers rupestres de la ville et souligne leur étonnement face à ces habitations creusées dans le tuf volcanique. Voici leur histoire et leurs caractéristiques.

Origine géologique et implantation des habitats

Les grottes de Goris sont creusées dans un matériau volcanique tendre appelé tuf. Résultat d’éruptions préhistoriques issues du plateau arménien, cette roche possède trois qualités déterminantes : elle est facile à travailler et à creuser, elle résiste au gel et elle offre une bonne isolation thermique. Selon le Service géologique d’Arménie (« Geological Atlas of Armenia », Institut géologique national, 2018), le tuf volcanique du Syunik provient de dépôts vieux de près de 2 millions d’années.

Ces conditions géologiques ont favorisé l’installation humaine dans ce relief escarpé. Les flancs rocheux autour de l’actuelle vallée de la Voghji ont été creusés progressivement, probablement dès le Moyen Âge. Des historiens arméniens comme Stepan Mnatsakanyan (Université d’État d’Erevan, 2015) estiment que ces habitations troglodytiques de Goris pourraient être antérieures au XIᵉ siècle, bien qu’aucune étude archéologique exhaustive n’ait encore permis de fixer une date précise.

montagnes de Goris

Un mode de vie troglodytique jusqu’au XVIIIᵉ siècle

Les habitants vivaient dans de petites cellules rocheuses organisées en quartiers, parfois reliées entre elles par des passages ou des escaliers taillés dans la roche. Chaque famille disposait d’un espace multifonctionnel : une pièce principale pour le foyer, un espace de repos et parfois un abri pour le bétail. La température intérieure restait toujours très stable, autour de +12 à +15° toute l’année, ce qui offrait un confort fortement appréciable dans le climat continental montagnard de cette région.

Vers la fin du XVIIIᵉ et, plus nettement au début du XIXᵉ siècle, les habitants de Goris ont commencé à édifier des maisons en pierre d’un à deux étages, munies de murs en pierre basaltique ou tuf volcanique et de toitures en bois ou ardoises. À cette époque, l’ancien quartier troglodytique (dit « krataker ») comptait encore environ 119 ménages vivant dans des grottes au début du XIXᵉ siècle.

Les grottes-habitations n’ont pas été abandonnées immédiatement : elles ont été progressivement converties en celliers, granges ou espaces de stockage, tout en conservant leur structure d’origine.

Le village rupestre de l’ancien Goris

L’ancien quartier troglodytique, appelé parfois « Hin Goris » (« Vieille Goris »), se trouve sur le versant est de la vallée, à environ 2 kilomètres de la ville moderne. Jusqu’au début du XXᵉ siècle, on y trouvait un théâtre de pierre encore visible aujourd’hui. Sa scène semi-circulaire, sculptée à même la roche, témoigne d’une vie communautaire structurée. Ce site est mentionné dans un rapport de l’Académie nationale des sciences d’Arménie comme un exemple rare de lieu culturel troglodytique dans le Caucase.

Les ruines d’une dizaine de chapelles rupestres, de moulins à eau traditionnels et de réservoirs d’irrigation subsistent encore. Ces vestiges confirment que la zone formait un habitat organisé, autonome et durable.

grottes de Goris

Un patrimoine menacé mais en restauration

La municipalité de Goris a lancé un programme local de sauvegarde depuis 2022, avec l’aide de l’Office du tourisme d’Arménie et du ministère de l’Éducation, des Sciences, de la Culture et du Sport. Deux anciennes grottes doivent être transformées en bibliothèque et galerie artisanale. Ce projet pilote vise à développer un tourisme culturel responsable, tout en maintenant un lien avec les habitants.

À proximité, l’église Sainte-Hripsimé, construite au XIXᵉ siècle, a déjà été restaurée. Des travaux archéologiques sont en cours pour mettre au jour d’éventuels lieux funéraires médiévaux autour de l’édifice. Les premières fouilles ont déjà mis au jour des fragments de céramique et quelques sépultures orientées est-ouest, laissant supposer une occupation plus ancienne du site. Plusieurs archéologues avancent l’hypothèse qu’un sanctuaire médiéval se trouvait ici avant la construction actuelle.

Comparaison avec d’autres architectures troglodytiques

Les maisons troglodytes de Goris sont parfois comparées à celles de Uplistsikhé (Géorgie), des caminières de Kandovan (Iran) ou encore des Sassi de Matera (Italie, inscrits à l’UNESCO en 1993). Toutefois, Goris possède une spécificité : les grottes sont individuelles et modestes, sans grandes salles communes ni temples, ce qui témoigne d’une tradition rurale montagnarde plutôt que citadine ou religieuse.

grottes de Goris

Vers une inscription à l’UNESCO ?

Depuis 2021, des discussions évoquent la possibilité d’inscrire Goris et son environnement culturel sur la liste indicative de l’UNESCO. Cette démarche s’inscrit dans une stratégie nationale de mise en valeur du patrimoine rupestre arménien, aux côtés de sites comme Geghard ou Khndzoresk. Selon la Commission nationale arménienne pour l’UNESCO, le dossier en préparation met en avant la valeur universelle exceptionnelle du site, en raison de la continuité d’occupation humaine, de la typologie unique des habitations creusées dans le tuf volcanique et de leur adaptation au relief montagneux du Syunik.

Il devra toutefois démontrer l’intégrité du site et garantir la protection à long terme du paysage culturel. Pour cela, la municipalité de Goris travaille sur un plan de gestion associant les habitants, les chercheurs et les acteurs du tourisme afin d’éviter une muséification ou une exploitation touristique excessive.

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