À Dubaï, derrière l’image futuriste de gratte-ciel scintillants tels que la Burj Khalifa, et de centres commerciaux démesurés, se cache un autre visage de la ville : celui d’un patrimoine ancré dans le sable et façonné par les vents du désert. Ici, chaque ruelle du quartier d’Al Fahidi représente l’histoire d’une adaptation ingénieuse, bien avant l’ère du béton et de la climatisation. Loin des clichés sur l’opulence, l’architecture traditionnelle de Dubaï révèle comment des générations ont appris à vivre dans un environnement aride, transformant les contraintes naturelles en atouts de confort et de convivialité.
Un quartier historique au cœur de Dubaï
Niché dans les ruelles étroites d’un des plus anciens quartiers de Dubaï, à proximité des rives de la crique d’eau salée, le quartier d’Al Fahidi incarne l’histoire urbaine de l’émirat. Son nom provient de la forteresse qui domine le quartier, la plus ancienne structure encore debout à Dubaï.
Cette forteresse fut édifiée trois décennies avant l’arrivée de la famille Maktoum, fondatrice de la dynastie régnante au XIXe siècle. À cette époque, la majorité des habitants vivaient dans des maisons en palmier, appelées barastis, faciles à monter et à démonter, caractéristiques d’un peuple semi-nomade.
L’arrivée des marchands et la naissance d’Al Bastakiya
Au tournant du XXe siècle, le quartier voit arriver des commerçants iraniens originaires de Bastak, venus s’installer à Dubaï en plein essor grâce à la pêche aux perles.
Leur installation donne au quartier son second nom, Al Bastakiya. Ils apportent avec eux des techniques architecturales adaptées aux climats désertiques du plateau persan, combinées aux ressources locales, donnant naissance à l’architecture traditionnelle des maisons de corail de Dubaï.
L’ingéniosité des maisons de corail
Ces habitations se distinguent d’abord par le choix du matériau. Le corail, récolté sur les plages et dans les gisements de perles, sont léger, poreux et naturellement isolant. Les murs, pouvant atteindre 76 cm d’épaisseur, offrent une excellente protection contre la chaleur, tandis que les petites portes et l’absence de grandes fenêtres extérieures contribuent à maintenir la fraîcheur intérieure. Les ruelles hautes et étroites créent des zones d’ombre quasi permanentes, sauf au zénith, et laissent transparaître les textures naturelles du corail, allant du nid d’abeille à l’éponge. Depuis 1971, l’exploitation du corail est interdite afin de préserver cet héritage naturel, à la suite de la modernisation rapide de la ville.
On appelle ces habitations Bait Morjan (maison de corail en arabe) en référence à leur matériau principal. Toutefois, la construction de ces maisons ne se limite pas au corail : le calcaire, extrait localement, entre aussi dans la composition des murs, parfois en alternance avec des blocs de pierre de mer ou des fragments de coquillages. L’association de ces matériaux naturels optimise l’isolation thermique tout en conférant à chaque maison une identité singulière, perceptible dans la diversité des textures et des teintes présentes sur les façades. Cette variété architecturale témoigne de l’ingéniosité locale.
Une architecture pensée pour le climat et la culture
À l’intérieur, chaque détail architectural s’adapte aux exigences du climat désertique et à la vie communautaire. Le cœur de la maison s’organise autour d’une cour centrale ombragée par des palmiers, c’est un lieu de rassemblement pour les repas et l’accueil des invités.
Des cloisons en bois, souvent sculptées de motifs géométriques ou végétaux (sans représentation figurative, par respect de la tradition islamique), assurent la circulation de l’air tout en préservant l’intimité. Les linteaux bas protègent du soleil et imposent aux visiteurs de se baisser, un geste de respect qui permet également aux femmes de la maison de se couvrir en toute discrétion.
Le barjeel : symbole d’ingéniosité et de prestige
L’élément phare des maisons de corail est le barjeel, ou tour à vent. Cette tourelle carrée, flanquée de poutres apparentes, agit comme une climatisation naturelle sans électricité. Les brises marines sont captées par la tour, puis redirigées vers l’intérieur où elles passent sur des tissus humides, rafraîchissant ainsi l’air ambiant grâce à l’évaporation. Ce principe permettait de maintenir une température intérieure jusqu’à sept degrés en dessous de la chaleur extérieure. Le barjeel est comme un symbole de luxe et de pouvoir à Dubaï : les plus grandes demeures et les palais, comme celui du cheikh Saeed Al Maktoum, arboraient autrefois plusieurs tours à vent, un gage de prestige et de confort.
Héritage et modernité : cohabitation de deux mondes
Aujourd’hui, le visage de Dubaï évoque avant tout la modernité : gratte-ciel, verre, acier et innovations technologiques dominent le paysage urbain. Pourtant, une ville plus ancienne subsiste sous cette surface, préservant traditions et savoir-faire adaptés à l’environnement naturel du désert. Pour découvrir l’authenticité de Dubaï, parcourez les vieux souks, aventurez-vous dans le désert ancestral ou flânez dans les ruelles d’Al Bastakiya, où l’histoire continue de s’exprimer à travers la pierre.
Conscientes de la valeur patrimoniale de ces maisons, les autorités de Dubaï ont lancé d’ambitieux programmes de restauration dès les années 1980, parfois encouragés par des figures internationales telles que le roi Charles III (alors prince de Galles). Aujourd’hui, de nombreuses maisons de corail abritent des centres culturels, tel que le Centre Cheikh Mohammed pour la compréhension culturelle, qui accueille visiteurs et curieux autour de repas traditionnels et d’ateliers pédagogiques sur la culture émiratie.
Les maisons de corail : inspiration pour l’avenir
Les maisons de corail offrent aujourd’hui une source d’inspiration pour une architecture durable et adaptée aux défis climatiques. Face à la montée des températures et à la nécessité de concevoir des bâtiments sobres en énergie, chercheurs et architectes se tournent vers ces solutions vernaculaires éprouvées, symboles d’un équilibre entre tradition, adaptation et innovation.
Héritage d’une histoire riche en échanges et en créativité, les maisons traditionnelles de Dubaî (les maisons de corail d’Al Bastakiya) incarnent le passé et, peut-être, l’avenir de Dubaï.