Heritage Village : les maisons traditionnelles d’Al Shindagha

Al Shindagha est la partie la plus ancienne de Dubaï (avec Al Bastakiya), établie dans les années 1830. C’est là que vivent de nombreux travailleurs sud-asiatiques. Ce quartier a plus en commun avec le Caire ou Tunis, ou même l’Inde, qu’avec la partie moderne de Dubaï et les villes occidentales. Ici, vous trouverez Heritage Village, un quartier historique avec les maisons traditionnelles du vieux Dubaï, et surtout celles d’Al Shindagha construites en grès et en argile. Le Dubaï moderne est né au début du 20ème siècle, lorsque la famille régnante s’est établie dans ce quartier. Situé sur les rives du ruisseau, Al Shindagha est aujourd’hui prisée pour ses maisons anciennes et ses tours à vent traditionnelles, appelées barjeel.

Heritage Village a été créé en 1997 pour montrer la vie traditionnelle aux Émirats Arabes Unis. Il représente la vie sauvage, marine et montagnarde. C’est également là que vous trouverez la vieille maison de Sheikh Zayed Al Maktoum. Le bâtiment est la propriété de la Dubai Culture & Arts Authority et est une attraction touristique importante à visiter dans la ville pour comprendre l’histoire de Dubaï.

Architecture vernaculaire du Golfe

Les maisons traditionnelles d’Al Shindagha reflètent l’architecture vernaculaire du Golfe arabo-persique, pensée pour résister à un climat désertique extrême. Selon le Dubai Municipality Heritage Department, les matériaux utilisés étaient locaux et accessibles : de la pierre corallienne extraite le long du littoral du Golfe, des blocs de gypse, de l’argile crue, du bois de palmier (palmier dattier) et de la chaux.

Les murs, souvent épais de 50 à 70 cm, assuraient une excellente inertie thermique. La pierre corallienne, poreuse, permettait d’absorber et de restituer l’humidité marine, contribuant au rafraîchissement naturel des intérieurs. Les charpentes étaient traditionnellement réalisées en madar, des troncs de palmier recouverts de nattes de feuilles de palmier, puis d’argile. Cette architecture démontre une adaptation aux ressources disponibles, typique de l’habitat pré-pétrolier de la péninsule Arabique.

Barjeel : tours à vent, ancêtres de la climatisation

Les tours à vent, ou barjeel, sont l’élément architectural emblématique d’Al Shindagha. Importées au XIXᵉ siècle par des marchands persans du sud de l’Iran (notamment de Bandar Lengeh et Bastak), elles captent le vent dominant et le dirigent vers l’intérieur de la maison. Selon une étude publiée par l’American University of Sharjah (2018), une tour à vent pouvait abaisser la température intérieure de 10 à 12° grâce à un système passif combinant ventilation naturelle et évaporation.

Les barjeel ne sont pas uniquement fonctionnelles : elles symbolisaient aussi le statut social de la famille qui les possédait. Une maison dotée de plusieurs tours à vent indiquait une certaine prospérité et un niveau d’influence dans la société marchande de Dubaï du début du XXᵉ siècle.

tours à vent Heritage Village à Dubaï

Organisation spatiale : la maison autour de la cour

Les maisons traditionnelles d’Al Shindagha adoptent une organisation centrée autour d’une cour intérieure (hawsh), typique des sociétés arabes du Golfe où la vie privée est hautement valorisée.

Selon le Dubai Historical Buildings Survey, cette cour avait plusieurs fonctions : assurer une ventilation croisée, capter l’ombre et offrir un espace de vie familial à l’abri des regards.Les pièces principales (le majlis (salle de réception), la cuisine, les espaces de stockage et parfois les étables) donnaient toutes sur la cour. Le majlis, situé près de l’entrée, servait à accueillir les invités masculins conformément aux codes sociaux de la péninsule Arabique. Cette disposition permettait de séparer les espaces publics et privés, une des caractéristiques clés de l’architecture traditionnelle de la vieille ville de Dubaï.

Rôle historique : carrefour commercial et culturel

Au XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle, Al Shindagha était le centre administratif de Dubaï. C’est ici que vivaient les familles influentes du commerce maritime. La proximité avec Dubai Creek faisait du quartier une plate-forme commerciale reliant l’Inde, l’Afrique de l’Est, l’Iran et Mascate. Le Dubai Museum rappelle que des marchandises telles que le bois de teck d’Inde, les épices, les perles du Golfe ou encore les textiles circulaient chaque jour entre les souks voisins, comme le Souk de Bur Dubai et le Souk de Deira.

Le Creek (cœur historique et maritime de Dubaï, autour duquel la ville est née et s’est développée) a ainsi forgé l’identité de Dubaï, bien avant l’ère pétrolière : c’est ici que se sont installées les premières routes commerciales et les chantiers navals de boutres traditionnels (dhows), encore visibles aujourd’hui.

bâtiment historique Heritage Village à Dubaï

Préservation et restauration patrimoniale

La préservation d’Al Shindagha s’inscrit dans un mouvement relativement récent aux Émirats arabes unis. Jusqu’aux années 1980, le développement rapide de Dubaï reposait principalement sur la modernisation et la construction, souvent au détriment des zones anciennes. De nombreux bâtiments traditionnels furent abandonnés ou endommagés par l’urbanisation. Consciente de la valeur historique et touristique de ce patrimoine, la municipalité de Dubaï a lancé dès 1997 un vaste programme de conservation piloté par la Dubai Municipality Heritage Department, avec l’aide de la Dubai Culture & Arts Authority.

L’objectif était de restaurer les bâtiments, mais aussi de reconstituer un tissu urbain cohérent représentant la vie d’avant l’ère pétrolière. Le projet a pris une ampleur stratégique à partir de 2015 avec la création du Al Shindagha Museum, un complexe patrimonial qui ambitionne de devenir le plus grand musée en plein air du monde arabe selon les autorités municipales (Dubai Media Office, 2018).

Les travaux reposent sur trois axes principaux :

  • Restauration architecturale : réhabilitation fidèle des maisons en pierre corallienne, des barjeel, et des cours intérieures selon les principes de conservation préventive utilisés par l’UNESCO.
  • Préservation des techniques traditionnelles : utilisation de matériaux historiques comme le gypsoum (plâtre de gypse), l’argile crue et le bois de palmier, afin de garder l’intégrité matérielle.
  • Valorisation culturelle : transformation d’anciennes résidences en musées thématiques (Musée de la Parfumerie, Maison de Sheikh Saeed Al Maktoum, Musée de la vie traditionnelle, etc.) pour transmettre l’histoire sociale et maritime de Dubaï aux visiteurs et voyageurs.

Parmi les projets emblématiques figure la réhabilitation de la maison de Sheikh Saeed Al Maktoum (1896), l’un des plus anciens édifices du site. Restaurée dans les années 1990 et rouverte au public en tant que musée, c’est un repère majeur du patrimoine émirati. La documentation des travaux est supervisée par la section des bâtiments historiques de Dubaï, qui veille au respect des normes de conservation.

maison de Sheikh Saeed Al Maktoum

Héritage : artisanat, culture et savoir-faire

Au-delà de l’architecture, Al Shindagha et Heritage Village sont devenus des lieux de transmission culturelle. Le patrimoine immatériel occupe une place centrale dans l’identité des Émirats arabes unis, et plusieurs traditions y sont régulièrement mises en valeur. Les visiteurs peuvent y découvrir l’art du tressage de palmes (safeefa), indispensable autrefois pour fabriquer paniers, nattes ou toitures légères.

S’y ajoutent des démonstrations de construction navale traditionnelle des dhows, ces bateaux en bois utilisés pour le commerce perlier et maritime dans le Golfe. Le Ministry of Culture and Youth organise également des ateliers sur la fabrication de filets de pêche, le travail du cuir ou encore la préparation de plats émiratis comme le harees ou le machbous, permettant de comprendre la relation historique entre les habitants du Golfe et leur environnement désertique et maritime.

Par ailleurs, Heritage Village participe à la sauvegarde de pratiques artistiques inscrites sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO, notamment l’art de la poésie nabati et les danses traditionnelles telles que l’al-ayyala et l’al-razfa. Ces expressions mettent en scène la cohésion tribale et l’esprit communautaire, révélateurs d’un mode de vie fondé sur la solidarité.

À travers fêtes, mariages simulés, expositions et reconstitutions, le site joue ainsi un rôle pédagogique de premier plan. Il ne se contente pas d’exposer des objets du passé : il maintient vivantes des traditions qui continuent à façonner l’identité culturelle des Émirats dans une société en pleine modernisation.

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