La vieille ville de Lamu, sur l’île du même nom à environ 350 km au nord de Mombasa, est la ville swahili la plus ancienne et la mieux conservée d’Afrique de l’Est. Contrairement à de nombreux établissements de la côte, abandonnés au fil des siècles, Lamu a été continuellement habitée pendant plus de 700 ans. La cité conserve ses fonctions traditionnelles et illustre une synthèse architecturale née de multiples influences arabes, indiennes et européennes, intégrées dans le cadre des techniques swahili locales.
Le tissu urbain : une ville tournée vers la mer
La structure urbaine de Lamu est immédiatement reconnaissable : des rues étroites, sinueuses, adaptées à la circulation piétonne et aux ânes, forment un labyrinthe. Ce plan, hérité des traditions arabes, permet de préserver la fraîcheur et d’assurer une certaine intimité. Le tissu urbain est segmenté en quartiers appelés mitaa, chacun composé de maisons réunissant différentes branches d’une même lignée familiale. Ces regroupements favorisent l’entraide et l’organisation sociale, et renforcent l’identité du quartier.
Matériaux et techniques de construction
Lamu se caractérise par ses maisons construites en pierre de corail, liée par un mortier à base de chaux, avec une utilisation massive du bois de mangrove pour la structure horizontale (plafonds, planchers, poutres). La pierre de corail, extraite localement, offre une excellente inertie thermique. Le bois de mangrove, très résistant à l’humidité et abondant dans la région, est utilisé en poutres horizontales (boriti) et pour les linteaux de portes et fenêtres. Ces matériaux permettent une construction durable, adaptée à un climat chaud et humide, tout en autorisant une certaine évolutivité verticale.


Organisation spatiale des maisons swahili
Les maisons traditionnelles de Lamu occupent des parcelles modestes, en moyenne 250 m², et sont conçues pour accueillir la vie d’une famille élargie, du personnel domestique et parfois des invités. L’habitation s’organise sur deux, voire trois niveaux, selon les besoins et les moyens du propriétaire.
Orientation et circulation
La tradition veut que les maisons soient orientées vers le nord. Cette orientation, outre la protection contre le soleil, reflète le respect de la direction de la qibla. Elle influe directement sur la disposition des escaliers, dont la montée suit fréquemment un axe ouest-est, l’escalier se trouvant à l’extrémité nord du bâtiment. L’accès principal se fait généralement par le daka, un porche ombragé situé sur la façade nord. Dès l’entrée, l’organisation intérieure se distingue par une hiérarchie spatiale claire :
- Le rez-de-chaussée est réservé aux services (cuisine, réserves, chambres du personnel).
- Les étages supérieurs abritent les espaces de réception, les chambres et les zones réservées à la famille. Ces pièces bénéficient d’une meilleure ventilation et d’une luminosité accrue.
- Les terrasses (fulani) sur les toits des habitations, véritables pièces de vie extérieures, servent à la fois pour le repos, la socialisation ou certaines tâches domestiques.

Absence d’ouvertures sur l’extérieur
La maison swahili privilégie la discrétion : les ouvertures vers l’extérieur sont limitées. Les fenêtres donnant sur la rue sont quasi inexistantes, hormis quelques ouvertures hautes destinées à l’aération. Les pièces s’organisent autour de la cour intérieure, centre névralgique du foyer. La cour assure l’éclairage et la ventilation naturelle, tout en constituant un espace protégé pour la famille.
Le développement vertical
En raison de la contrainte de la parcelle et de l’accroissement de la famille, la maison swahili évolue principalement en hauteur. Les extensions se font par surélévation, avec parfois des escaliers complexes pour relier les niveaux tout en respectant l’orientation imposée par la tradition. Les espaces privés (chambres, salles de bains) sont placés à l’étage, à l’abri des regards et de l’agitation de la rue.


Décor et finitions intérieures : art et raffinement swahili
L’intérieur des maisons de Lamu révèle un raffinement discret. Les plafonds sont peints, parfois décorés de motifs géométriques. On trouve de grandes niches murales (madaka) pour l’entreposage de literie ou d’objets précieux, ainsi que de petites niches (zidaka) intégrées dans les murs, souvent ornées de céramiques chinoises incrustées, témoignage des anciens échanges commerciaux avec l’Asie.
Les portes en bois sculpté sont l’un des éléments emblématiques de l’architecture de Lamu. Réalisées en bois local, elles affichent des motifs complexes, arabesques, calligraphies ou symboles floraux, traduisant la richesse et le statut du propriétaire. Certaines ont des inscriptions coraniques ou des blasons familiaux.
Le mobilier est relativement modeste, souvent limité à des banquettes en maçonnerie recouvertes de tissus colorés, à des coffres et à quelques pièces de mobilier mobile pour les besoins quotidiens.


Conservation et authenticité du patrimoine
Lamu demeure aujourd’hui le modèle le plus complet d’urbanisme et d’architecture swahili traditionnel. Les techniques anciennes y sont toujours employées : mortiers à base de chaux, enduits à la chaux blanche, utilisation exclusive de matériaux locaux. La ville a réussi à éviter l’uniformisation liée au béton moderne, ce qui garantit la préservation de ses spécificités architecturales.
Les règles de construction, parfois informelles mais respectées par la communauté, permettent de conserver l’harmonie du paysage urbain. La hauteur des bâtiments, la typologie des ouvertures, l’utilisation de la pierre de corail et du bois restent des marqueurs obligés du bâti local.

Une architecture de synthèse : influences croisées
Lamu illustre la rencontre de cultures multiples. Les principes de constructions urbains rappellent la tradition arabe (structure labyrinthique, organisation en mitaa), tandis que la décoration intérieure et certains dispositifs architecturaux révèlent des apports indiens et européens.
- Les niches ornées de porcelaines chinoises,
- Les motifs de portes inspirés des ateliers et maisons de Stone Town à Zanzibar,
- L’usage de certains éléments décoratifs d’origine indo-arabe, témoignent de l’ouverture de la ville sur l’océan Indien. On les retrouve notamment dans les motifs sculptés des portes et des plafonds.




Fonction sociale et usage de l’espace
L’organisation spatiale des maisons répond à une logique sociale précise. La cour intérieure, permet de maintenir la cohésion de la famille élargie tout en offrant à chacun des espaces de retrait. L’absence de fenêtres sur la rue renforce la sécurité et la confidentialité, deux valeurs centrales de la société swahili.
L’étagement des fonctions (services en bas, réception et vie familiale à l’étage, terrasse sur le toit) correspond à une hiérarchie sociale et familiale très structurée, qui se reflète dans l’utilisation de chaque espace. Les maisons swahili de Lamu au Kenya ne sont pas uniquement des lieux d’habitation, mais également des espaces de transmission culturelle et de vie collective.
Les maisons swahili de Lamu représentent un ensemble architectural cohérent et unique, fruit de siècles d’évolution, d’adaptation et de rencontres. Leur conservation exemplaire offre un témoignage précieux sur les savoir-faire traditionnels de la côte swahili et la capacité de cette culture à intégrer, sans se dénaturer, les apports venus de l’extérieur. Étudier l’habitat de Lamu, c’est comprendre comment l’architecture vernaculaire peut façonner durablement la vie quotidienne et l’identité d’une communauté.