Scharloo : le joyau de Willemstad

À Scharloo, l’architecture parle d’argent, de prestige et d’adaptation au climat. Le quartier aligne les villas des négociants du XIXe siècle, construites en pierre de corail, enduites de chaux, percées de galeries pour capter l’air des alizés. Les façades colorées traduisent un savoir-faire local, capable de transformer des modèles européens en maisons adaptées aux tropiques. Ce laboratoire de formes et de techniques a donné à Willemstad l’un de ses ensembles les plus cohérents, aujourd’hui classé par l’UNESCO.

Où se situe Scharloo, et pourquoi il compte ?

Scharloo fait partie du centre historique de Willemstad, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le site comprend quatre quartiers qui encerclent le port naturel : Punda, Otrobanda, Pietermaai et Scharloo. Cette inscription protège l’urbanisme et les architectures nées de trois siècles de commerce maritime. Vous marchez entre les anses du port, de la baie de St-Anna au Waaigat ; c’est le décor qui a fait la fortune de la ville. On y voit trois siècles d’architecture coloniale façonnés par le vent, le soleil et le sel.

Scharloo est le « cadet » des quartiers coloniaux. D’abord zone agricole et de chantiers navals, il s’est transformé au XIXe siècle en adresse résidentielle prisée. De grandes familles marchandes, souvent juives, y ont bâti des demeures somptueuses, à deux pas des quais. Cela explique la richesse des façades sur la Scharlooweg, l’artère principale. Elles affichent l’aisance et l’ambition de leurs bâtisseurs.

Un quartier né de la mer… et des marchands

Le port a tout structuré. Les quais du Waaigat accueillaient les stockages et les réparations de navires. Puis un événement a fait bouger les lignes : un ouragan a endommagé des villas à Pietermaai en 1877. Des familles ont cherché un site moins exposé et se sont tournées vers Scharloo et Scharloo Abou, sur l’eau intérieure, plus protégée. Le quartier a alors pris son visage actuel : grandes maisons alignées, jardins, grilles ouvragées. Scharloo est ainsi devenu un refuge élégant, bâti pour durer face aux aléas.

Cette croissance a laissé un héritage visible : une rue de demeures serrées, des façades pastel, des frontons variés. Vous avancez et vous lisez un livre d’architecture à ciel ouvert. Les différents styles montrent les vagues d’influence, du baroque local aux formes classiques de la fin du XIXe siècle.

architecture de Scharloo

Styles et matériaux : ce que vous regardez

Sur place, vous verrez un mélange clair. D’abord, des traces du « baroque de Curaçao », né au XVIIIe siècle : lignes courbes, pignons modelés, façades ponctuées de moulures. Ce vocabulaire s’est diffusé au-delà de Punda et touche aussi Scharloo. Ensuite, au XIXe siècle, arrive le néoclassique : corniches marquées, toitures à croupes, colonnes et frontons. Beaucoup de maisons de Scharloo relèvent de cette tendance tardive ; certaines rappellent des villas anglaises ou italiennes, d’autres s’inspirent des maisons de plantations nord-américaines. Ce mélange donne à la rue un visage ordonné et varié.

La technique est insulaire. Les murs en pierre de corail enduite supportent le soleil et le sel ; on protège la maçonnerie par un crépi à base de chaux. Les galeries sont ajoutées tôt pour créer une zone d’ombre et ventiler les pièces. Les persiennes et les jalousies régulent l’air venu des alizés. Ce n’est pas décoratif : c’est du confort passif, pensé pour le climat. Chaque détail artchitectural répond au climat.

Un détail : beaucoup de maisons s’organisent autour d’un patio. Ce plan, courant à Scharloo, met parfois une fontaine au centre. Le résultat est sobre : la rue donne l’apparat, la cour donne la fraîcheur.

La « Bolo di Batrei » : une façade qui porte un surnom

Sur la Scharlooweg, arrêtez-vous au n° 77. Les habitants la surnomment « Bolo di Batrei », la « maison gâteau » en papiamento. Les garde-corps, les balustres et la marquise donnent l’impression d’un glaçage. Construite pour un mariage en 1916-1917, la demeure a été offerte le jour des noces ; elle héberge aujourd’hui les Archives nationales de Curaçao. C’est une adresse publique : vous entrez, vous voyez le hall, et vous comprenez d’un coup l’échelle de ces maisons de Scharloo.

On vous dira que la couleur des maisons vient d’un décret interdisant le blanc au XIXe siècle. L’histoire circule, les versions divergent, et les historiens discutent encore son origine. Retenez surtout que la polychromie est devenue une habitude urbaine, renforcée par les restaurations récentes.

Bolo di Batrei à Scharloo

Ce que vous pouvez observer à Scharloo

Regardez la profondeur des galeries : elles contrôlent le soleil haut des tropiques. Observez les fenêtres : les jalousies laissent passer l’air sans perdre l’ombre. Comparez les pignons : certains sont encore baroques, d’autres sont devenus très sages, avec un fronton discret. Touchez (quand c’est permis) l’enduit : derrière, c’est souvent du corail, matériau local facile à travailler et à réparer. Ce sont des réponses sobres à un climat chaud, à un sel omniprésent et à des vents réguliers.

Une remarque de terrain aide à lire ces maisons : les couloirs traversants et les cours créent des courants d’air. La ventilation naturelle est un vrai choix ici, confirmé par des travaux universitaires sur les landhuizen de Curaçao : porches profonds, ouvertures en enfilade, orientation face aux alizés. L’air circule.

Au bout de la passerelle piétonne L.B. Smith, vous tombez sur le Musée maritime. Il occupe une ancienne demeure de 1729, restaurée après un incendie survenu à la fin des années 1980. L’adresse : N. van der Brandhofstraat 1, côté Scharloo. La visite offre cinq siècles d’histoire portuaire, avec cartes, maquettes et sorties en bateau dans la rade. C’est un bon point de départ pour comprendre pourquoi la ville s’est faite ici, et pas ailleurs. Le bâtiment lui-même illustre cette longue histoire liée à la mer.

Scharloo aujourd’hui : bureaux, musées, startups

Beaucoup d’anciens hôtels particuliers ont été rénovés au début du XXIe siècle. Ils accueillent des services de l’État, des sociétés et quelques lieux culturels. Le quartier attire aussi des jeunes entreprises, des galeries et des cafés. C’est un bon exemple d’adaptation : on conserve les volumes et on change les usages, sans trahir l’esprit de la rue. Scharloo vit ainsi entre héritage et nouveaux usages.

Vous pouvez compléter la visite par une halte aux Archives nationales (Scharlooweg 77). L’intérieur a été modernisé, mais la façade et la galerie donnent encore la mesure d’une maison de marchand du début du XXe siècle. Prenez le temps de lever la tête : plafonds peints, garde-corps, moulures.

Conseils pratiques pour une visite

Venez tôt ou en fin d’après-midi : la lumière est douce, les photos gagnent en relief, et la chaleur est plus supportable. Entrez au Musée maritime pour replacer ce que vous voyez dans l’histoire du port ; la visite prend une heure si vous lisez les cartels, un peu moins sinon. Marchez lentement : les détails sont à hauteur d’œil. Pour l’itinéraire, le passage par la passerelle L.B. Smith est rapide et sûr.

Si vous aimez l’art urbain, passez par Scharloo Abou et cherchez « Three O’Clock Romance ». C’est devenu un repère, et vous croiserez peut-être l’artiste dans son atelier voisin. Les fresques cohabitent avec les monuments ; c’est ce mélange qui donne du rythme à la promenade.

Scharloo Abou : quand les fresques relancent la rue

Depuis quelques années, Scharloo Abou, la partie basse, s’est fait un nom grâce aux fresques. En 2016, le projet Street Art Skalo a commencé à couvrir des pignons entiers. L’artiste Francis Sling a signé « Three O’Clock Romance », une scène de deux oiseaux devenue un repère photographique. Autour, des ateliers se sont installés, des cafés et restaurants ont ouvert, et l’on croise souvent les artistes au travail. L’art ne gomme pas les défis d’un quartier ancien, mais il a redonné de l’élan et des usages.

Pour les voir, le plus simple est de partir de Punda. Traversez le Waaigat par la passerelle L.B. Smith ; vous arrivez quasi face au Musée maritime. Prenez ensuite à gauche le long de N. van der Brandhofstraat, puis remontez vers Scharlooweg. Les grandes façades s’enchaînent. La « maison gâteau » est un peu plus loin. Revenez par Bitterstraat pour voir la fresque de Francis Sling, puis filez vers le marché (selon période) avant de regagner Punda. Ce petit tour vous donne la structure du quartier en moins d’une heure.

Scharloo ne se visite pas au pas de course. Vous avancez, vous lisez les façades, vous écoutez le vent entre les persiennes. Vous comprenez comment une ville coloniale a adapté un vocabulaire européen au climat des tropiques. Et vous voyez comment, aujourd’hui, musées, bureaux et fresques prolongent cette histoire sans la dénaturer.

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