Les maisons en pierre de la vieille ville de Kotor : un héritage ancien

Quand vous franchissez la porte de la vieille ville de Kotor, vous entrez dans un décor serré entre mer et montagne. Les pavés résonnent sous les pas, les façades en pierre se touchent presque, les volets vert sombre filtrent la lumière, et la baie se devine à quelques mètres. Derrière cette carte postale se cache un tissu urbain très cohérent, façonné pendant des siècles par le relief, le climat et les risques sismiques.

Une ville fortifiée, prise entre la roche et l’eau

Kotor occupe le fond d’un fjord méditerranéen, la Boka Kotorska, entouré de montagnes abruptes qui montent à plus de 1 000 mètres. La vieille ville est coincée entre les remparts et la pente, dans une sorte de triangle minéral ouvert sur le port. Cet emplacement explique en grande partie la forme de ses rues et la structure de ses maisons. Au lever du jour, la lumière souligne encore ce relief serré.

Inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1979 dans le cadre de la « Région naturelle et culturelle-historique de Kotor », la ville est citée pour la qualité de son architecture fortifiée, la densité de ses palais et la façon dont tout cela s’articule avec les terrasses agricoles sur les pentes voisines.

Les secousses de 1667 et 1979 ont attaqué les maisons, les églises et les tours. Chaque fois, les habitants ont consolidé, reconstruit, inséré de nouveaux éléments dans les murs anciens. Le bâti que vous voyez aujourd’hui est donc médiéval, vénitien, baroque et plus récent, le tout assemblé en pierre locale.

Pourquoi la pierre domine à Kotor ?

Dans la baie de Kotor, la pierre calcaire affleure partout. Elle sert de matériau de construction principal depuis des siècles, pour les maisons modestes comme pour les palais. Des études menées sur près d’une centaine de bâtiments autour de la baie montrent que plus de 80 % des maisons traditionnelles reposent sur des murs en pierre porteuse. Dans le centre, vous sentez tout de suite cette présence minérale.

Les blocages de pierre locale sont liés à la chaux, parfois complétés par la terre rouge (terra rossa) comme liant dans les parties basses. Les angles reçoivent des pierres mieux taillées, qui renforcent la stabilité et donnent ce dessin net aux façades. Ces choix se lisent dans chaque mur que vous croisez.

Le bois existe, mais en quantité limitée. Il sert surtout pour les planchers, les charpentes, les menuiseries. Cette rareté du bois a un effet direct sur la forme des habitations de la vieille ville de Kotor : on le réserve uniquement aux pièces où il est indispensable, on limite les portées, on appuie le plus possible sur les murs de pierre. Cela donne des façades épaisses, des ouvertures mesurées, des portails massifs.

place dans la vieille ville de kotor

Un plan de ville serré : ruelles, placettes et parcelles étroites

La vieille ville garde un tracé médiéval, avec des rues étroites, sinueuses, qui suivent la pente ou la coupent par petites marches. L’UNESCO souligne que, malgré les séismes répétés, Kotor a conservé un paysage urbain médiéval lisible, fait de passages, d’escaliers, de petites places et de maisons jointives.

Les parcelles sont généralement longues et étroites. Une façade donne sur la rue, la maison s’étire en profondeur, parfois avec une cour intérieure minuscule ou un passage qui permet de rejoindre une ruelle à l’arrière. Cette organisation répond à plusieurs contraintes :

  • faire entrer un maximum de bâtiments à l’intérieur de l’enceinte
  • profiter de la ventilation naturelle créée par les couloirs de vent entre les façades
  • limiter la prise au vent des toitures

Une promenade attentive révèle également les ruelles couvertes, qui passent sous une maison, ou les arcs entre deux façades, utilisés pour contreventer l’ensemble. Ce sont autant de petites astuces structurales et architecturales pour partager les charges et limiter les dégâts en cas de secousse.

Typologie : du rez-de-chaussée au palais urbain

Les recherches sur les maisons de la baie de Kotor distinguent deux grandes familles : la maison de plain-pied à l’origine, qui évolue ensuite vers la maison à un étage, puis vers des maisons à deux ou trois niveaux. Sur un échantillon de 95 bâtiments, ces types représentent près de 80 % du parc ancien étudié.

À Kotor même, cela se traduit de manière concrète :

  • la maison modeste en pierre de Kotor, généralement à deux niveaux, avec un rez-de-chaussée dédié au stockage ou à un atelier, et un étage d’habitation.
  • la maison de famille aisée, qui monte à trois niveaux, avec la « konoba » (cave ou magasin) au rez-de-chaussée, les pièces de vie au premier, les chambres sous la charpente.
  • le palais urbain, dont la façade sur la place affiche un portail monumental, un escalier d’honneur, un balcon central et trois à cinq travées de fenêtres bien alignées.

Beaucoup de maisons suivent néanmoins la même logique interne que les grandes demeures, mais sur une échelle plus réduite : rez-de-chaussée semi-enterré, étage noble à mi-hauteur, combles aménagés sous le toit. Cette organisation revient souvent, même dans les rues les plus étroites.

grande maison en pierre à kotor

Façades, ouvertures et détails sculptés

Les façades en pierre taillée varient selon la période. Les maisons médiévales de Kotor présentent souvent de petites ouvertures, des arcs en plein cintre ou brisés, des fenêtres géminées. L’époque vénitienne introduit des encadrements moulurés, des balcons, des armoiries, des corniches plus marquées. Les séismes, en particulier celui de 1667, ont détruit ou endommagé de nombreux ouvrages, mais les reconstructions ont repris et adapté les motifs lombards, gothiques, puis baroques.

Sur les maisons de la vieille ville, vous pouvez lire plusieurs codes :

  • la taille des blocs : plus les pierres sont régulières et fines, plus la maison est riche.
  • les encadrements de fenêtres : bandeaux simples pour les maisons modestes, profilés plus complexes, avec pilastres et petits frontons, pour les maisons de notables.
  • les balcons : consoles en pierre sculptée, garde-corps en pierre ajourée ou en ferronnerie, qui marquent les pièces de représentation.
  • les linteaux de portes : dates, monogrammes, symboles religieux ou marins.

Un détail revient fréquemment dans la région côtière du Monténégro : la corniche de pierre ou « couronne » qui termine le mur longitudinal, parfois nommée « kotali » dans la littérature locale spécialisée. Elle protège le haut du mur, sert de transition vers la toiture et renforce la stabilité.

Intérieurs : de la konoba fraîche aux pièces hautes

L’organisation intérieure répond à des besoins très concrets : stocker, transformer, protéger de la chaleur et de l’humidité, tout en laissant circuler l’air. Au rez-de-chaussée, la konoba est souvent voûtée ou couverte de solives massives. On y range le vin, l’huile, les outils, parfois une petite barque ou des filets de pêche. Les sols peuvent être en pierre brute, plus tard en dalles mieux taillées.

Un escalier, intérieur ou extérieur, mène au premier niveau habitable. C’est là que se trouvent la cuisine, la pièce commune, parfois un petit salon donnant sur la rue par deux ou trois fenêtres alignées. Les plafonds sont en bois, soutenus par des consoles de pierre dans les maisons plus anciennes.

Sous la charpente, l’espace sous combles sert de grenier ou de chambres. Les petites lucarnes ou ouvertures hautes permettent de ventiler et de laisser s’échapper la chaleur. Là encore, la pierre joue un rôle : l’épaisseur des murs garde la fraîcheur en été et conserve un peu de chaleur en hiver.

Après le séisme de 1979, certaines familles ont dormi pendant des semaines dans la rue ou sur les places, par peur de rentrer. Puis, quand les premiers diagnostics ont montré que les murs massifs avaient tenu, les gens ont réinvesti leurs maisons, tout en renforçant les planchers et les toitures. Cette confiance progressive dans la structure en pierre explique en partie l’attachement actuel à ces bâtiments.

façades en pierre à kotor

Toitures, séismes et restauration

Les toits des maisons traditionnelles ont connu plusieurs phases. Dans les constructions anciennes et les maisons rurales de la baie, on trouvait des couvertures en dalles de pierre, épaisses de 4 à 5 cm. Leur poids aidait à stabiliser la charpente, mais demandait des murs très solides. Peu à peu, la tuile canal en terre cuite, plus légère, a pris le relais, avec des pentes de toit autour de 30°.

La charpente est en bois, souvent de portée réduite, appuyée sur les murs pignons et les murs porteurs internes. Dans une ville exposée aux séismes, cette combinaison de murs lourds et d’une structure de toit plus légère est un compromis : la base encaisse, le haut reste moins chargé.

Le tremblement de terre de 1979 a entraîné l’inscription de Kotor sur la liste du patrimoine en péril, puis une longue phase de restauration. Des rapports internationaux insistent sur la nécessité d’encadrer les interventions : respecter la pierre d’origine, éviter les surélévations agressives, etc.

Aujourd’hui, quand vous levez les yeux dans la vieille ville, vous voyez des tuiles canal, avec parfois des traces de reprises plus récentes, des souches de cheminées rectangulaires. Les toitures continuent d’évoluer, mais la trame générale est lisible depuis les remparts ou la forteresse de San Giovanni.

Habiter une maison en pierre à Kotor aujourd’hui

Beaucoup de maisons de la vieille ville sont encore occupées par des habitants permanents. D’autres ont été transformées en chambres d’hôtes, cafés, boutiques. La pression touristique et immobilière est forte, ce qui pose des questions techniques et sociales : comment introduire des salles de bains modernes dans des murs épais de 60 cm, comment passer des réseaux sans abîmer les voûtes, comment isoler sans recouvrir la pierre ? Comment préserver l’esprit des lieux alors que les usages changent si vite ?

Les architectes et les services de conservation doivent arbitrer : autoriser des ouvertures supplémentaires ou non, accepter ou refuser une climatisation en façade, imposer certains matériaux pour les menuiseries. Un article récent sur les maisons en pierre de la baie rappelle que chaque intervention mal pensée peut fragiliser un ensemble déjà soumis au vent, à l’humidité saline et aux séismes.

Sur le plan plus intime, vivre dans une maison de Kotor, c’est accepter certaines contraintes : escaliers raides, pièces parfois sombres, bruit des pas dans les rues étroites. Mais beaucoup d’habitants parlent d’un sentiment de continuité : ils vivent dans les mêmes volumes que leurs grands-parents, voient la même lumière sur la pierre au lever du jour, repèrent les mêmes repères sculptés au-dessus des portes.

Pour un visiteur, ces maisons peuvent sembler figées dans le temps. En réalité, elles bougent encore : une fenêtre remplacée, un linteau consolidé, une konoba transformée en café, un étage loué en été. Tant que ces ajustements restent mesurés, l’équilibre entre patrimoine et vie quotidienne peut tenir. C’est là que se joue l’avenir des maisons en pierre de la vieille ville de Kotor : dans la capacité collective à les adapter sans les dénaturer, afin qu’elles continuent à abriter des vies, et pas seulement des photos de voyage.

maison en pierre à kotor

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