Vous arrivez par une rue en pente. L’air est sec, la lumière est vive. Une façade basse, blanchie à la chaux ou colorée, s’ouvre sur un porche discret. Derrière, un patio calme absorbe le bruit de la ville. Voilà l’esprit des maisons coloniales de La Paz : modestes côté rue, généreuses côté cour. Et, quand on pousse la porte, un art de construire adapté à l’altitude, au froid nocturne et aux sols en dénivelé.
Repères pour situer le sujet
La cité de La Paz a été créée le 20 octobre 1548 par le Capitaine Alonzo de Mendoza. Mendoza, un conquistador espagnol, pensait que La Paz serait l’endroit idéal pour établir une ville car elle leur apporterait les richesses de l’or. Elle a aussi offert un lien clé entre la ville coloniale de Lima et Potosí, une ville du sud de la Bolivie construite autour de la plus riche mine d’argent au monde.
Malheureusement, l’arrivée et la colonisation conséquente de la Bolivie ont profondément changé les moyens de subsistance de la population qui ressent encore aujourd’hui les effets de la redistribution des terres, de la ségrégation des classes et de la répartition de la richesse.

La Paz a pris forme autour de trames calées sur les reliefs. Les édifices religieux imposent le style hispano-andino. Les maisons s’alignent, se regroupent par îlots, s’agrippent aux pentes. Le modèle est la maison à patio : une parcelle étroite sur rue, un couloir d’entrée, une cour intérieure, puis des pièces autour, parfois une seconde cour au fond. Ce plan supporte ajouts, surélévations et remaniements du XIXᵉ siècle.
Sur quelques rues anciennes, dont la Calle Jaén, vous voyez encore ce tissu urbain. Balcons en bois, fenêtres à barreaux, murs épais enduits de chaux, toits en tuiles canal. Même après des transformations, l’ossature d’origine se lit dans l’enchaînement zaguán-patio-galeries.
Ce que la colonisation espagnole a laissé derrière elle est une ville remplie d’un mélange éclectique d’influences architecturales coloniales et sud-américaines européennes. En tant que plus ancienne colonie en Amérique du Sud, La Paz offre certains des exemples les plus exclusifs de l’architecture traditionnelle espagnole coloniale. Cependant, comme tant de pays en développement, beaucoup de bâtiments de La Paz se trouvent dans un état de délabrement et de manque de préservation rappelant un peu Cuba.

Ce qui fait une « casa » coloniale à La Paz
La maison coloniale paceña ne se remarque pas par sa façade, mais par ce qu’elle cache derrière. Vue de la rue, elle semble compacte, parfois austère. Une fois la porte franchie, tout change : lumière, silence, proportions. Le patio est le cœur de l’habitat. Autour de lui s’organisent pièces, circulations et vie. Voici ce qui distingue ces « casas » bâties pour durer, adaptées au climat d’altitude et aux pentes de la ville.
La parcelle et la relation à la rue
Côté rue, la maison se tient sobre. Une porte large, souvent décentrée. Parfois un blason, un linteau en bois, un encadrement en pierre. Peu d’ouvertures, pour maîtriser l’ensoleillement et la sécurité. Le relief oblige à jouer avec des demi-niveaux. On entre au milieu, on remonte ou on descend selon la pente. Les façades colorées que vous voyez aujourd’hui reprennent souvent des teintes minérales : ocres, rouges profonds, bleus sourds, chaux blanche. Pas de tape-à-l’œil, mais une présence claire dans la rue.
Le cœur de la maison : le patio
Le patio de la maison coloniale de La Paz règle tout. Il apporte l’air, la lumière et un microclimat. À 3 600 m d’altitude, les écarts jour-nuit sont marqués. Le patio fonctionne comme un régulateur : rayonnement solaire le jour, inertie des murs la nuit. Des galeries couvertes en bois ou en maçonnerie assurent la circulation et protègent des pluies soudaines. Une fontaine, une jarre, parfois un arbre. Les pièces s’ouvrent ici, jamais en façade. Le patio, c’est le salon, l’atelier, l’espace de travail, selon l’heure.
Matériaux et techniques
Les murs sont épais. Adobe ou pisé pour le gros œuvre, pierre en partie basse et encadrements, chaux pour les enduits. Le bois règle les portées courtes : poutres, planchers, balcons, garde-corps. Les toits ont une charpente légère, une sous-couche en roseaux ou cannes, puis la tuile canal. Ce trio terre-bois-tuile répond bien à l’altitude : inertie, réparabilité, approvisionnement local. Sur terrain en pente, des murs de soutènement et des soubassements ventilés limitent l’humidité et stabilisent l’assise.
Ouvertures et détails
Fenêtres petites, souvent à barreaux en fer forgé. Les pièces donnent sur le patio ; les baies côté rue sont comptées. Un balcon en encorbellement peut marquer l’étage noble. Les portes s’ouvrent sur un seuil haut, utile lors des averses. À l’intérieur, vous croisez des arcs en plein cintre, des plafonds en bois à solives apparentes, des sols en brique ou en pierre. Rien d’ostentatoire, mais une cohérence pratique.

Adapter le modèle au climat et à la topographie
À La Paz, le soleil est fort, l’air frais. Le confort vient de l’inertie des murs, de la compacité, de l’orientation. Le patio capte la chaleur en journée. Les galeries filtrent le vent. Les façades sur rue, plus fermées, limitent les déperditions nocturnes. L’étanchéité des toits est primordiale : la pente, la tuile, les égouts. Les rues en pente imposent des seuils et des emmarchements réfléchis. Les maisons en jouent, créant des demi-niveaux qui séparent les usages : boutique sur rue, vie domestique à l’étage, service au fond.
Voici une anecdote de terrain concrète : après une averse de grêle, le patio de la maison se vide en quelques minutes par un caniveau central. Vous entendez l’eau filer sous les galets tandis que les galeries restent sèches. Ce détail technique parle d’une culture constructive tournée vers l’utile.
Transformations du XIXᵉ et du XXᵉ siècle
Les périodes républicaines ouvrent les façades. De nouvelles fenêtres, parfois des bow-windows, des enduits lissés, des couleurs plus vives. Certains patios reçoivent des verrières. Des étages se rajoutent, avec des charpentes allégées. Sur les axes centraux, des commerces remplacent les portes cochères. Le plan d’origine, lui, tient bon : le couloir d’entrée et la cour structurent toujours la circulation.
Au XXᵉ siècle, l’usage des habitations bascule : bureaux, musées, pensions de famille. Des lotissements grignotent quelques cours. Dans les années récentes, des restaurations plus soignées réapparaissent, notamment dans les rues à valeur patrimoniale. Le défi : confort thermique et sécurité sans dénaturer la structure porteuse. Les solutions les plus pertinentes restent réversibles : doublages perspirants à la chaux, vitrages fins sur les galeries, isolation par le plancher haut plutôt que par l’extérieur.

Quartiers et rues où sentir cet héritage
La Calle Jaén forme un petit musée à ciel ouvert. Vous y trouvez des maisons coloniales préservées, reconverties en musées et centres culturels. Les proportions, les couleurs, les ferronneries aident à comprendre le langage de cette architecture. D’autres rues du centre historique gardent des traces : porches, restes de galeries, patios transformés. Même quand la façade a changé, un portail large ou une pente de toiture en tuiles trahit souvent un noyau ancien. Cherchez l’enchaînement : large porte, couloir, cour, galerie. Chaque élément est une adaptation au relief et au climat.
Un conseil pratique : arrivez en fin d’après-midi. La lumière rasante fait ressortir les reliefs des enduits et les ombres portées des balcons. Vous lisez mieux les épaisseurs et les décalages de niveaux.


Usages actuels : habiter, travailler, accueillir
Beaucoup de maisons coloniales vivent une seconde vie. Musées, ateliers d’artisans, cafés, petites pensions. Le patio sert de scène à ciel ouvert : expositions, musique, rencontres. L’étage noble accueille des chambres, le rez-de-chaussée des espaces partagés. Pour les propriétaires, le confort passe par des gestes sobres : chaux aérienne pour que les murs respirent, menuiseries bois bien ajustées, stores intérieurs plutôt que vitrages fumés, récupération des eaux pluviales dans le patio.
Pour un projet hôtelier, le plan à patio est un atout. On distribue les chambres autour de la cour, on protège l’intimité par des galeries, on réserve le fond de parcelle aux services. Une règle tient bien : garder le couloir d’entrée libre et lisible, éviter de cloisonner le patio, gérer la lumière avec des filtres (rideaux, persiennes), non par l’opacité. Ce schéma assure confort thermique, circulation claire et calme.
Lire une maison coloniale : méthode rapide sur place
Regardez d’abord la façade. Porte large ? Linteau en bois ? Encadrement en pierre ? Toit en tuile canal ? Les indices s’additionnent en général. Ensuite, si la porte est ouverte, repérez le zaguán. Long, droit, menant à la cour : c’est un bon signe. Dans le patio, observez la galerie : poteaux bois ou maçonnerie, appuis de poutres, descentes d’eau. Au sol, la présence d’un léger bombement central indique un drainage vers la rigole. À l’étage, un balcon continu signale souvent les pièces nobles.
Touchez les murs. Le grain fin d’un enduit de chaux n’a pas la même sensation qu’un ciment récent. L’odeur aussi parle : un mélange de bois, de chaux et de poussière sèche. Rien d’ésotérique là-dedans, juste des repères sensoriels utiles. Ces sensations aident à percevoir la qualité du bâti.

Détails qui comptent pour la préservation
La chaux vaut mieux qu’un ciment dur sur un mur en terre. Elle laisse passer la vapeur d’eau, limite les cloques, accepte de petites fissures sans se décoller. Un badigeon régulier protège et uniformise sans cacher la texture. Pour les charpentes, une inspection annuelle suffit souvent : contrôle des assemblages, recherche de traces d’humidité, remplacement des tuiles cassées. Les réseaux (électricité, internet) gagnent à passer dans des plinthes techniques discrètes, non dans les murs porteurs. Les menuiseries d’origine se réparent : ajout de joints, réglage des ferrures, reprise locale des bois.
Un point souvent négligé : les eaux pluviales. Les chutes verticales doivent rester ouvertes et accessibles. Un simple tamis sur la gargouille évite l’obturation par les feuilles. En saison des pluies, ce petit détail fait la différence. C’est souvent ce soin qui garantit la longévité des maisons anciennes.
Ce que ces maisons apprennent à la ville d’aujourd’hui
Le plan à patio répond avec sobriété aux enjeux climatiques : ventilation croisée, lumière douce, capacité d’inertie. Dans une ville dense et en pente, cette typologie propose un urbanisme de seuils et de transitions. Les projets récents qui s’inspirent de ces principes (cour centrale, galeries, filtres solaires, matériaux à faible énergie grise) trouvent un bon équilibre entre coût d’usage et agrément.
Une observation issue du terrain : les lieux qui tiennent dans le temps ne se contentent pas d’une image. Ils gardent une structure claire, une enveloppe réparable, des usages flexibles. Les maisons coloniales de La Paz cochent ces cases. Elles montrent comment faire beaucoup avec peu : épaisseur, ombre, air, etc.
Une promenade conseillée
Commencez par la Calle Jaén. Prenez le temps de regarder les ferronneries, les heurtoirs, les joints d’enduit. Entrez dans une maison transformée en musée pour ressentir la cour. Poursuivez vers des rues en pente où les seuils se succèdent. Faites une pause sous une galerie. Vous percevez la différence de température entre soleil et ombre. Le corps comprend ce que le plan raconte.
Si vous avez l’œil de bâtisseur, dessinez le schéma au dos d’un carnet : rectangle de parcelle, couloir, carré du patio, galeries, pièces. Ce croquis vous servira partout dans les Andes, avec des variantes locales selon l’altitude et la tradition constructive. En quelques traits, vous verrez se répéter une logique d’adaptation. Ce dessin devient une clé de lecture pour comprendre l’architecture andine.

Mots à retenir
- Zaguán : couloir d’entrée menant au patio.
- Patio : cour centrale, cœur de la maison.
- Galerie : passage couvert autour du patio.
- Adobe : brique de terre crue séchée au soleil.
- Pisé : terre damée coffrée.
- Tuile canal : tuile courbe traditionnelle.
Pourquoi ces maisons touchent encore ?
Parce qu’elles sont franches. Elles montrent comment une ville peut dialoguer avec son climat, sa topographie, ses ressources. Elles rappellent que le confort vient d’abord de la forme et de la matière, puis des équipements. Elles tiennent par leur simplicité constructive et leur capacité d’adaptation. Et elles sont très accueillantes : une porte, une cour, une ombre, un banc pour se poser.
Un soir de juillet, un propriétaire me glissait ceci dans une cour aux murs chaulés : « Ici, on sait où se mettre selon le soleil. Le matin dans la galerie est, à midi sous l’oranger, le soir près du mur chaud. » Vous n’avez pas besoin d’une longue théorie pour comprendre. Il suffit de s’asseoir un moment et d’écouter la maison. C’est dans ces actions que la maison révèle sa véritable intelligence constructive.