Au nord de l’Éthiopie, Aksoum est connue pour son patrimoine historique, ses stèles monumentales et ses églises anciennes. Pourtant, au-delà de ces monuments inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, la ville et ses environs abritent un tissu résidentiel singulier, où l’architecture vernaculaire se mêle à des touches contemporaines. Les maisons colorées d’Aksoum en sont un exemple marquant : elles reflètent des savoir-faire anciens et une adaptation progressive aux matériaux et techniques modernes.
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Origines et évolution des habitats
L’habitat traditionnel aksoumite tire ses racines de plusieurs siècles de construction en pierre et en terre. Les premières habitations de la région utilisaient la pierre basaltique et la pierre de granite locale, assemblées sans mortier ou avec un liant à base de terre et de chaux. Ces techniques héritées des périodes pré-axoumites et axoumites ont évolué au fil du temps, intégrant progressivement des matériaux plus légers et plus accessibles comme le bois, la tôle ondulée et les enduits colorés.
La transformation des façades, avec l’usage de peintures vives, est un phénomène plus récent, lié à l’essor du commerce des pigments industriels et à l’influence des villes éthiopiennes plus grandes où la couleur est devenue un signe d’entretien et de modernité. Elles protègent aussi les enduits des intempéries.


Organisation et implantation
Les maisons traditionnelles d’Aksoum sont souvent implantées sur des parcelles en légère pente, afin de faciliter le drainage pendant la saison des pluies. L’organisation spatiale privilégie un espace central ou cour intérieure, autour duquel se distribuent les pièces principales. Cette disposition favorise les circulations protégées du vent et du soleil, tout en offrant une zone de rencontre familiale.
Dans les zones périphériques, l’habitat se compose de maisons isolées ou regroupées par petits ensembles familiaux, entourées de clôtures en pierre sèche ou branchages. En centre-ville, les constructions sont plus denses, avec des façades alignées sur la rue et des entrées souvent rehaussées par un petit perron. Les rues y sont peu ombragées et animées par le passage quotidien des habitants.

Matériaux et techniques constructives
La diversité des matériaux utilisés dans les maisons colorées d’Aksoum résulte autant de contraintes locales que d’opportunités commerciales. Trois techniques dominent encore aujourd’hui :
- Pierre et mortier de terre : héritage direct des périodes anciennes, ce mode constructif consiste à empiler des blocs de basalte ou de granite, liés par un mortier de terre enrichi parfois de chaux. Les murs obtenus sont massifs, avec une excellente inertie thermique.
- Briques en terre crue : moulées puis séchées au soleil, elles servent à bâtir les cloisons ou à élever des murs complets lorsque la pierre est moins disponible.
- Structures hybrides : charpente bois recouverte de panneaux ou de maçonnerie légère, avec une toiture en tôle ondulée peinte ou galvanisée. Cette solution, plus rapide à monter, est privilégiée pour les extensions ou les constructions à budget limité.
Le choix des matériaux dépend de la disponibilité locale, du coût et du statut économique des propriétaires. Les maisons plus anciennes présentent souvent une combinaison de pierre en soubassement et de terre crue pour les parties hautes, renforcée par des enduits protecteurs.

Les toitures
Les toits des maisons d’Aksoum ont évolué avec l’introduction de la tôle ondulée importée au XXe siècle. Autrefois, les couvertures étaient en chaume ou en branchages recouverts de terre, nécessitant un entretien régulier. Aujourd’hui, la tôle, parfois peinte dans des teintes éclatantes, est largement adoptée pour sa durabilité et sa capacité à protéger contre les fortes pluies.
Les toitures à deux versants sont les plus courantes, facilitant l’écoulement de l’eau et réduisant les infiltrations. Dans certaines zones rurales, les toits coniques subsistent encore, rappelant les formes traditionnelles des tukuls, mais leur usage se raréfie en milieu urbain.

L’usage de la couleur
L’un des traits les plus visibles et identifiables des maisons d’Aksoum est leur polychromie. Les façades sont peintes dans des teintes franches : bleu cobalt, vert, jaune ocre, rose vif ou rouge terre. L’application de couleurs vives répond à plusieurs logiques : esthétique, différenciation familiale et expression de prospérité. Elle contribue également à donner une identité visuelle forte aux quartiers.
Les encadrements de portes et de fenêtres sont souvent peints d’une couleur contrastante, créant un effet graphique qui met en valeur les ouvertures. Les motifs peints peuvent inclure des bandes horizontales, des frises géométriques ou des symboles religieux simples. Dans certains cas, ces décorations reprennent des teintes associées aux fêtes religieuses orthodoxes locales, en particulier lors des rénovations précédant les grandes célébrations. Elles renforcent ainsi le lien entre l’architecture domestique et les traditions locales. Elles participent aussi à la singularité visuelle de chaque maison.
On trouve aussi des façades ornées de motifs géométriques peints directement sur l’enduit, alternant des rectangles ou carrés noirs et blancs sur un fond coloré, comme le rouge vif. Ce style, souvent appliqué à la main, donne un aspect graphique fort à la maison et attire immédiatement le regard. Les encadrements de portes et fenêtres sont alors intégrés dans le motif, renforçant l’unité visuelle de l’ensemble.

Adaptations aux conditions climatiques
Le climat d’Aksoum, marqué par une saison sèche longue et une saison des pluies plus courte mais intense, impose des adaptations constructives spécifiques. Les murs épais en pierre ou en terre crue assurent un confort thermique appréciable, en limitant les écarts de température. Les débords de toiture, bien que modérés, protègent les façades peintes des projections d’eau.
Dans certaines maisons, des ouvertures hautes ou des jalousies en bois favorisent la ventilation croisée, indispensable pour rafraîchir les pièces pendant les journées chaudes. Les fenêtres orientées au sud sont souvent réduites ou protégées pour limiter les gains thermiques excessifs.

Influence des pratiques culturelles
La construction et l’entretien des maisons d’Aksoum sont profondément liés aux pratiques communautaires. Les chantiers mobilisent souvent l’entraide familiale ou de voisinage, notamment lors des phases de fondation ou d’enduit. Les travaux de peinture de façade peuvent coïncider avec des moments festifs, donnant aux rues un aspect particulièrement animé.
La décoration extérieure reflète parfois des affiliations religieuses ou des événements familiaux, ce qui explique les variations fréquentes de couleurs d’une maison à l’autre dans un même quartier.


Transformations récentes
Depuis une vingtaine d’années, l’accès élargi aux matériaux industriels et aux techniques modernes a modifié le visage architectural d’Aksoum. Les peintures synthétiques remplacent les pigments naturels, offrant une palette plus large et une durabilité accrue. Le ciment, employé pour les enduits, tend à supplanter les mortiers de terre, réduisant l’entretien mais modifiant l’aspect visuel des murs.
Dans les quartiers en expansion, les nouvelles maisons intègrent parfois des éléments de style urbain importé : vérandas vitrées, balcons en béton moulé, ferronneries décoratives peintes dans des couleurs assorties aux façades. Ces ajouts modifient progressivement l’esthétique traditionnelle des rues.
La préservation des maisons colorées d’Aksoum est un défi. L’usage croissant de matériaux modernes, bien que plus pratiques, risque de faire disparaître des techniques ancestrales. Les enduits de ciment, par exemple, s’ils ne sont pas adaptés, peuvent retenir l’humidité dans les murs en terre et provoquer leur dégradation. Pour maintenir ce patrimoine, des initiatives locales encouragent l’emploi de méthodes traditionnelles associées à des améliorations techniques. Des programmes de formation visent à transmettre les savoir-faire liés à la taille de pierre, à l’enduit de terre et à la peinture décorative.
Les maisons colorées d’Aksoum ne sont pas qu’un élément pittoresque, elles témoignent d’une continuité architecturale qui traverse les siècles en intégrant des évolutions modernes. Leur diversité de formes, de matériaux et de teintes illustre la capacité des habitants à adapter leur maison au climat, aux ressources et aux aspirations esthétiques. Conserver cette richesse architecturale, en permettant aux habitants de moderniser leur cadre de vie, est un équilibre subtil. Les rues d’Aksoum, ponctuées de façades éclatantes et de volumes sobres, offrent un exemple concret d’architecture vernaculaire en évolution.