L’architecture de Madagascar témoigne d’une grande diversité, résultat d’influences multiples et d’un enracinement fort dans le contexte local. Parmi les formes bâties marquantes du paysage urbain et rural malgache, les maisons coloniales occupent une place importante. Héritage d’une période historique bien définie, ces édifices illustrent l’adaptation d’un modèle architectural importé à un environnement climatique, social et culturel spécifique. Comprendre l’architecture coloniale malgache nécessite d’analyser les matériaux, les techniques, mais aussi les usages et sa place dans la mémoire collective.
Contexte historique et genèse
L’introduction de l’architecture coloniale à Madagascar s’inscrit dans le contexte de la colonisation française, à partir de la fin du XIXe siècle, après l’annexion de l’île en 1896. Dès les premières années du protectorat, puis de la colonie, l’administration encourage la construction de bâtiments selon les codes architecturaux européens, tout en intégrant certaines contraintes locales.
Les maisons coloniales apparaissent dans les principales villes comme Antananarivo, Tamatave (Toamasina), Majunga (Mahajanga), Fianarantsoa ou Diego Suarez (Antsiranana). Elles sont d’abord destinées aux fonctionnaires, commerçants, militaires et élites locales converties à la modernité. Ce sont des marqueurs sociaux, mais aussi des espaces de transition entre deux cultures du bâti.
Caractéristiques architecturales
Les maisons coloniales malgaches illustrent l’adaptation de l’architecture occidentale aux réalités climatiques, culturelles et techniques de Madagascar. Leur conception témoigne d’une recherche de confort et de durabilité, intégrant matériaux locaux, organisation spatiale fonctionnelle et éléments décoratifs spécifiques. Ce type d’habitat, présent dans de nombreuses villes, se distingue par des choix architecturaux précis que l’on retrouve dans l’ensemble du pays. Voici ces caractéristiques :
Plan et organisation spatiale
Les maisons coloniales malgaches présentent le plus souvent un plan rectangulaire allongé, parfois en L ou en U pour les demeures plus importantes. L’organisation intérieure repose sur une séparation stricte des espaces : pièces de réception (salons, salle à manger) à l’avant, espaces privés (chambres, bureau) à l’arrière ou à l’étage, zones de service (cuisine, buanderie) en annexe ou dans des bâtiments secondaires. Les circulations sont rationalisées afin d’assurer l’intimité et l’efficacité des déplacements.
Les matériaux de construction
Contrairement aux maisons européennes traditionnelles, les maisons coloniales malgaches s’adaptent rapidement au contexte local en privilégiant des matériaux disponibles sur place. Le bois est dominant, notamment les essences locales telles que le palissandre, le ravintsara ou le jacaranda, utilisé pour les charpentes, les balustrades et les planchers. Les briques cuites sont également courantes dans les Hautes Terres, héritage des savoir-faire précoloniaux déjà bien maîtrisés par la population locale.
La pierre, la chaux et la tôle ondulée font leur apparition pour les toitures, surtout dans les zones côtières du pays où l’humidité impose une protection accrue. Les enduits à la chaux, parfois teintés d’ocre, protègent les murs des habitations contre les intempéries et limitent les infiltrations.
Les vérandas et galeries
L’un des attributs majeurs des maisons coloniales malgaches est la présence de vérandas, balcons ou galeries courant tout autour du bâtiment. Ces espaces de transition, ombragés et ventilés, offrent un confort climatique indéniable : ils permettent de vivre à l’abri du soleil, de la pluie et des insectes, tout en favorisant la circulation de l’air. Les balustrades en bois tourné ou en fer forgé sont classiques.
Les ouvertures : fenêtres et portes
Les ouvertures sont généreusement dimensionnées pour faciliter la ventilation naturelle, essentielle dans les régions chaudes et humides. Les portes et fenêtres à double battant, souvent équipées de persiennes, filtrent la lumière tout en maintenant l’intimité et en empêchant la surchauffe des pièces.

L’influence de Louis Gros
L’essor de l’architecture coloniale à Madagascar est indissociable de la figure de Louis Gros, architecte et ingénieur actif dès 1819 sur l’île. Son apport marque une étape décisive dans l’évolution des formes bâties, en introduisant des caractéristiques jusque-là absentes du paysage malgache.
Louis Gros initie la construction de maisons à toiture à quatre pans, recouverte de bardeaux. Ces habitations, élevées sur plusieurs niveaux, témoignent d’une volonté d’adopter des modes de vie inspirés des modèles européens. Les colonnes et les arcades, éléments structurels et décoratifs jusque-là peu répandus, deviennent la norme. Il généralise également l’aménagement de galeries couvertes et de varangues, ces espaces de transition protégés, adaptés au climat tropical et à la sociabilité locale.
Ce style novateur s’impose d’abord dans les palais royaux et les résidences de notables, marquant une distinction nette avec l’architecture vernaculaire environnante. À partir de 1868, l’emploi de la brique et de la pierre par la population contribue à une diffusion progressive de ce modèle architectural au sein de couches sociales plus larges. Cette démocratisation du style s’accompagne de l’adoption de techniques constructives modernisées, qui influencent durablement l’urbanisme malgache.
L’architecture coloniale issue de l’influence de Louis Gros se retrouve également dans les édifices religieux et les bâtiments publics, notamment après 1896, date de la proclamation de Madagascar en tant que colonie française. Les réalisations de cette période se distinguent par leur rationalité, leur organisation spatiale et leur intégration de solutions climatiques performantes.
Sur les côtes, l’architecture coloniale conserve la toiture à quatre pans, mais adapte la profondeur des vérandas, offrant ainsi une meilleure isolation thermique face à la chaleur et à l’humidité. La véranda périphérique, très profonde, couplée à la présence de combles ventilés, permet à la maison de s’adapter aux exigences du climat tropical. L’utilisation de fines colonnes en fonte et de rambardes à motifs ajourés, évoquant la dentelle, caractérise ce prototype architectural. Ces éléments donnent naissance à un style unique, aisément reconnaissable dans les villes portuaires et les zones littorales.
Dans les Hautes Terres, l’architecture coloniale subit des influences diverses, tant dans le choix des matériaux que dans l’évolution des formes. Au fil du temps, la légèreté structurelle propre au style colonial cède la place à des volumes plus compacts et à une expression architecturale moins ornementée.

Où voir des maisons coloniales à Madagascar ?
Le patrimoine bâti malgache conserve de nombreux exemples de maisons coloniales, répartis dans différentes régions et contextes urbains. Ces édifices, visibles dans plusieurs villes, témoignent de l’évolution des techniques, des influences et des adaptations au climat local.
Antananarivo : le quartier d’Isoraka et le Palais de la Justice
Dans la capitale, le quartier d’Isoraka est l’un des plus emblématiques pour observer les maisons coloniales. De nombreuses villas y subsistent, caractérisées par leurs vérandas en bois sculpté, leurs toitures à forte pente et leurs façades. La rue Paul Dussac rassemble des exemples typiques.
Le Palais de la Justice, construit à la fin du XIXe siècle sur les plans de l’architecte William Pool, combine matériaux locaux et techniques européennes : une structure en pierre, de larges ouvertures et une toiture métallique. Il représente un repère architectural majeur de la période coloniale.
Fianarantsoa : ville haute et demeures de notables
À Fianarantsoa, la ville haute conserve des maisons coloniales bâties pour les administrateurs et les commerçants au tournant du XXe siècle. Leurs façades colorées, les galeries couvertes et les toits de tuiles témoignent d’une adaptation au relief et au climat de la région. Certaines demeures sont aujourd’hui classées au patrimoine local. Ces bâtiments contribuent à l’identité architecturale de la ville.
Tamatave (Toamasina) : la maison Galliéni
La ville portuaire de Tamatave recèle des bâtiments coloniaux remarquables, tels que la Maison Galliéni (ancien siège du gouverneur Joseph Galliéni, 1897). Cette résidence, aujourd’hui réhabilitée en espace culturel, possède une vaste véranda, des volumes généreux, un plancher en bois et une toiture métallique. Son architecture illustre la fusion entre technicité occidentale et adaptation au climat tropical.
Diego Suarez (Antsiranana) : villas et habitat militaire
À Diego Suarez, les quartiers coloniaux présentent des villas à galeries surélevées, parfois implantées en belvédère sur la baie. Les anciens bâtiments militaires du centre-ville, comme la Caserne de la Légion étrangère, témoignent d’une recherche de performance : murs épais, ventilation croisée, grandes hauteurs sous plafond. Cet ensemble confère à la ville une physionomie urbaine singulière et structurée.
Majunga (Mahajanga) : maisons à étage et influences indo-arabes
Majunga, ville au passé cosmopolite, offre un visage particulier de l’architecture coloniale : de grandes maisons à étage, parfois enrichies d’éléments ornementaux indo-arabes (arcades, moucharabiehs). L’hôtel de Ville (construit en 1930) représente l’un des édifices majeurs du patrimoine bâti de cette époque.
La préservation du patrimoine colonial malgache
L’état de conservation du patrimoine bâti colonial français à Madagascar est variable selon les villes et les usages. Certaines demeures, laissées à l’abandon, subissent les effets du temps, des intempéries et des transformations successives. D’autres, au contraire, font l’objet de restaurations ambitieuses, portées par des particuliers, des associations ou des institutions publiques.
La reconnaissance du patrimoine colonial comme élément constitutif de l’identité urbaine et touristique est croissante. Plusieurs démarches de classement, notamment à Antananarivo et Fianarantsoa, témoignent d’une volonté de transmettre cet héritage architectural aux générations futures.
Adaptations et évolutions récentes
Les maisons coloniales, conçues pour un mode de vie, un confort et des usages d’une autre époque, nécessitent parfois des adaptations : rénovation des structures, mise aux normes sanitaires, transformation des espaces intérieurs. Les propriétaires actuels veillent souvent à conserver l’esprit d’origine, tout en intégrant des équipements modernes pour répondre aux besoins contemporains.
Dans plusieurs villes, des initiatives de valorisation se développent, telles que la création de circuits urbains ou l’ouverture de maisons d’hôtes dans d’anciennes villas coloniales. Ces projets contribuent à la sauvegarde, à la transmission des techniques traditionnelles et à la sensibilisation du public.
L’architecture coloniale de Madagascar témoigne d’un dialogue complexe entre héritages européens et adaptation au contexte local. Les maisons coloniales, par leur morphologie, leurs matériaux, leur ornementation et leur capacité d’adaptation, sont des témoins d’une période charnière de l’histoire malgache. La diversité des exemples observables dans les principales villes du pays, la richesse des détails architecturaux et la résilience de ces constructions face aux défis du temps en font des objets d’étude majeurs pour tout amateur ou professionnel du patrimoine.