Vous avez sans doute une image en tête : une façade pastel, un balcon en fer forgé, des persiennes ouvertes sur une rue étroite. À La Havane, cette image n’est pas une carte postale, c’est du quotidien. Les maisons coloniales y sont pensées pour le vent, la lumière et la vie de cour.
Ce que l’on appelle “maison coloniale” à La Havane
Le terme couvre une large période. Du XVIᵉ au XIXᵉ siècle, la ville a grandi par couches. Le plan de base s’impose tôt : un volume sur rue, une grande porte, puis un passage couvert qui conduit à un patio. Autour, les pièces s’alignent sous des galeries. Au fil du temps, les ornements changent, mais la logique du plan se maintient. On cherche l’ombre, l’air qui circule, l’intimité en retrait de la rue.
Au XVIIIᵉ siècle, les façades de La Havane adoptent des cadres de pierre et des portes hautes. Au XIXᵉ, les lignes se font plus régulières. Les balcons se multiplient partout. Les menuiseries gagnent en finesse. La maison coloniale s’ouvre davantage sur la rue, tout en gardant son cœur à l’abri : la cour.
Le plan type : du seuil au patio
Poussez la porte. Vous entrez dans un zaguán, c’est-à-dire un passage couvert. Il protège du soleil et des averses. On y gare une carriole autrefois, un vélo aujourd’hui. Ce seuil mène à la sala, la pièce de réception côté rue. Les fenêtres y sont hautes. Les plafonds aussi. L’air chaud monte, la pièce respire.
Au fond, la cour. C’est le centre de la maison. On y vit aux heures fraîches. On y installe une table, des plantes, un banc à l’ombre. Autour du patio, des corredores forment des galeries. Ils desservent les chambres, l’office, parfois un petit oratoire. Un escalier mène à l’étage quand il existe. Sur la terrasse, appelée azotea, on fait sécher le linge, on surveille le ciel, on discute entre voisins.
Cette progression depuis la rue vers l’intérieur organise les usages dans les habitations. On reçoit devant. On vit au calme derrière. On dort là où l’air circule le mieux selon la saison.


Matériaux et détails à reconnaître
Les murs portent en maçonnerie pleine. On trouve souvent une pierre calcaire avec des restes de corail. Elle se travaille bien. Elle supporte la chaux. Les linteaux et les planchers reposent sur des poutres en bois tropical, cèdre ou acajou. Les toitures anciennes ont reçu des tuiles. Beaucoup ont été remplacées par de la tôle. Les terrasses maçonnées se sont aussi généralisées, avec leurs chasse-ruisseaux en façade.
Sur rue, les rejas protègent les ouvertures. Ce sont des grilles en fer forgé, parfois très fines. Les menuiseries combinent vitres, volets pleins et persianas à lames. On module ainsi la lumière et le flux d’air. Au-dessus des portes, un mediopunto (une imposte en arc) éclaire l’entrée.
Les sols parlent, eux aussi. Dans les maisons du XIXᵉ, vous verrez des carreaux de ciment aux motifs géométriques. Dans les plus anciennes, des tomettes ou des dalles plus simples.
Vivre avec la chaleur, l’orage et le sel
Le climat dicte la forme. Les rues étroites donnent de l’ombre. Les façades épaisses filtrent la chaleur. Les plafonds très hauts créent une zone tampon où l’air chaud s’accumule. Les ouvertures sont en vis-à-vis. On provoque un courant d’air. Les persiennes laissent passer la brise en protégeant des pluies obliques.
La cour régule. Elle capte la lumière sans l’excès. Un arbre ou une plante grimpante abaisse la température au cœur du logement. Un aljibe (une citerne) recueille l’eau. Les galeries couvrent les circulations et servent de pièce à vivre quand le soleil cogne. Au premier orage, vous comprendrez l’intérêt de ces débords : on circule au sec, on s’abrite, la maison continue de fonctionner. La mer n’est jamais loin. Le sel attaque le fer. Il fragilise les maçonneries par capillarité. D’où l’usage de la chaux, qui laisse respirer les murs et se répare. Les enduits trop “durs” retiennent l’humidité et se boursouflent. Les anciens le savent : mieux vaut un matériau compatible qu’une solution “miracle” qui casse l’équilibre.

Couleurs, textures et lumière
Les teintes pastel ne sont pas un décor gratuit. Elles renvoient la lumière et supportent bien la patine. Ocre, bleu délavé, vert amande, rose poudré : la palette est douce pour l’œil sous le soleil. La chaux apporte une vibration mate qui tranche avec l’éclat des carreaux de ciment. Dans la même pièce, un mur à la chaux, une menuiserie peinte, un sol à motif créent un rythme calme. Rien d’ostentatoire.
La grande maison devenue “solar”
Vous entendrez ce mot : solar. C’est la transformation d’un ancien palais urbain en logements multiples. La cour sert d’espace commun. Plusieurs familles se partagent des cuisines et des sanitaires. Les galeries deviennent des enfilades de portes. Les lessives sèchent sur les garde-corps.
La vie collective y est forte. On se parle d’un étage à l’autre. On surveille les enfants depuis un hamac. L’architecture s’adapte avec des cloisons ajoutées, des mezzanines, des cabanes de toit. Tout cela pèse sur la structure. D’où des besoins d’entretien réguliers, parfois difficiles à tenir.
Cette réalité sociale fait partie de l’histoire de La Havane. Elle a sauvé des maisons par l’usage, même si les finitions ont souffert. Elle pose aussi une question : comment réparer sans chasser ceux qui y vivent ?


Trois zones, trois ambiances
- Habana Vieja : c’est le cœur ancien. Les parcelles sont serrées. Les maisons s’alignent à hauteur modeste. La vie se lit depuis la rue. Les portes restent ouvertes. Le patio est proche, audible.
- Centro Habana : on sent la densification. Les immeubles du tournant du XXᵉ siècle côtoient les vieilles maisons transformées. Les balcons filants dominent. Le rez-de-chaussée accueille des ateliers ou des commerces. Le bruit, la musique, les appels se mêlent.
- Vedado et Miramar : plus au large, au XXᵉ siècle, on réinterprète le vocabulaire colonial dans des villas avec des jardins. Colonnes, vérandas, toits à grandes avances. Ce n’est plus la ville serrée des patios, mais on garde l’idée d’ombre et de ventilation croisée.
Voir et comprendre en marchant
Levez la tête. Regardez les corniches en bois. Elles protègent le haut des murs. Comptez les vantaux d’une fenêtre, observez la combinaison volets/persiennes. Vous verrez comment on dose la lumière au millimètre. Approchez-vous des grilles : le dessin des rejas varie de maison en maison. Sur un seuil, vous croiserez parfois une pierre usée en creux. Ce n’est pas un défaut. C’est le passage des pas.
Dans une cour, écoutez. Un seau frappe une margelle. Une radio joue. Une casserole bout. La maison coloniale est une acoustique avant d’être une façade. Pensez-y quand vous photographiez : une image depuis l’ombre d’un corredor vers la lumière du patio rend souvent mieux que la façade seule.

Vivre aujourd’hui dans une maison coloniale
Beaucoup de maisons accueillent des familles, des ateliers, des écoles de danse, des casas particulares (des locations chez l’habitant). La polyvalence n’est pas nouvelle. Elle prolonge l’esprit d’origine : un lieu qui s’adapte aux usages. Une cuisine peut occuper un ancien bureau. Une chambre s’installe dans une ancienne galerie fermée par une menuiserie légère. Tout l’art consiste à ménager des passages d’air, à éviter de sceller les murs sous des couches inadaptées, à garder lisible la cour.
Un détail fait la différence : placer la literie, le bureau, la table à l’endroit où l’air circule en fin d’après-midi. À La Havane, vous ne combattez pas le climat. Vous composez avec lui.
Une scène, pour comprendre : un matin de juillet, dans une cour de Habana Vieja, une grand-mère balaie les feuilles tombées du manguier. Elle s’arrête, lève les yeux vers le ciel carré. “Quand le vent tourne, on ouvre ces deux persiennes et on ferme celle-là”, dit-elle en montrant trois fenêtres alignées. “Le patio fait le reste.” Tout est dit. La maison pense le vent à votre place, si vous l’écoutez.
Lexique express
- Zaguán : passage couvert depuis la rue vers la cour.
- Patio : cour intérieure, cœur de la maison.
- Corredor : galerie couverte qui dessert les pièces.
- Reja : grille en fer forgé devant une fenêtre ou une porte.
- Persiana : volet à lames orientables. Laisse passer l’air.
- Mediopunto : imposte cintrée au-dessus d’une porte.
- Aljibe : citerne pour l’eau de pluie.
- Azotea : terrasse en toiture.



Conseils pour votre regard de visiteur
Venez tôt le matin ou en fin de journée. La lumière rase révèle les reliefs d’enduit et les moulures. Demandez la permission avant d’entrer dans une cour. Un sourire ouvre des portes. Si l’on vous laisse passer, marchez lentement. Regardez comment les galeries organisent la vie.
Prenez une photo depuis l’ombre vers la clarté. Ajustez votre cadre pour inclure une plante, une chaise, une corde à linge. Vous sentirez mieux la relation entre habitat et gestes du quotidien. Pour les détails, pensez à l’échelle. Une poignée en laiton, une ferrure, une latte de persienne montrent autant qu’une façade complète. N’oubliez pas le sol. Les carreaux posent une géométrie qui guide l’œil. Suivez-la.
Ce que ces maisons nous apprennent
À La Havane, l’architecture domestique n’est pas un décor de musée. Elle répond à trois questions : comment se protéger du soleil, comment faire circuler l’air, comment vivre près des autres sans perdre l’intimité. La réponse tient dans un plan clair, des matériaux compatibles et une économie de moyens. Pas de gadget. Des murs qui respirent, des ouvertures qui bougent, une cour qui équilibre tout.
Si vous aimez l’architecture, vous y trouverez une leçon. Si vous venez pour la ville, vous y trouverez une manière d’habiter qui accueille. Et si vous vivez là, vous savez déjà que ces maisons colorées de Cuba sont des partenaires de tous les jours. Elles vieillissent, elles grincent, elles se réparent.


