Les maisons coloniales de Boma

Boma est une ville de la République Démocratique du Congo, c’est une importante ville portuaire située sur le fleuve Congo, à environ 40 kilomètres en amont de l’océan Atlantique. Boma a été fondée comme une station d’esclavage par les commerçants européens au 16ème siècle, elle fût principalement dominée par les commerçants hollandais, britanniques, français et portugais. C’était la capitale du Congo belge, puis de l’État libre du Congo, de 1886 à 1926, après quoi la capitale du Congo fut transférée à Kinshasa.

Boma est une ville du fleuve, une ancienne capitale posée sur les rives du Congo, entourée de mangroves et de palmiers. Ce port historique, longtemps carrefour du commerce et de l’administration, garde les traces de la présence européenne dans ses quartiers anciens.

Dans ses rues, certaines maisons ne ressemblent à rien d’autre au Congo. Murs épais, varangues profondes, toits de tôle ou de tuile. Ce sont les maisons coloniales. Beaucoup datent de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, époque où Boma était au centre du pouvoir colonial.

Un héritage bâti au bord du fleuve

Les premières maisons coloniales de Boma ont été construites par les administrateurs belges et quelques commerçants européens venus s’installer au bord du fleuve Congo. L’emplacement n’était pas choisi au hasard : accès facile à l’eau, circulation des marchandises, surveillance des voies fluviales.

Au début, il s’agissait surtout de bâtiments en bois sur pilotis. On trouve encore quelques vestiges près du port, déformés par le temps et les crues. Quand Boma est devenue la capitale de l’État indépendant du Congo, la brique a pris le relais, importée par bateau ou produite sur place.

Typologie et plans des maisons coloniales

Quand vous vous promenez dans les rues anciennes de Boma, vous voyez des maisons très différentes les unes des autres, mais toutes avec des points communs. La plupart de ces bâtiments sont posés sur un soubassement haut, souvent porté par des piliers solides. Certaines maisons, comme celle en bois sur pilotis (photo ci-dessous à gauche), sont entièrement surélevées, l’espace du rez-de-chaussée servant de garage, d’abri ou de lieu de stockage à l’abri des crues. D’autres sont un peu moins hautes, mais gardent cet esprit de la maison qui domine le sol, pour rester à l’écart de l’humidité.

L’accès se fait presque toujours par un escalier central, large et droit, qui mène à la véranda ou à la galerie couverte. Ces galeries sont partout : c’est la partie la plus vivante de la maison. On y circule, on y prend l’air, on y accueille les visiteurs. Elles sont protégées par des balustrades, parfois décorées de motifs géométriques ou de claustras de bois ajouré, comme on le voit sur les photos.

Les toits sont amples, à 2 ou 4 pentes, recouverts de tôle. Certains présentent des décrochements et des volumes complexes, avec une avancée centrale (photo ci-dessous à droite) ou des décrochements en angle, qui abritent les galeries sur plusieurs côtés. Sur la plupart des maisons, la toiture dépasse largement les murs, formant un auvent continu. Ce débord protège les façades de la pluie et du soleil.

L’organisation intérieure suit ce plan :

  • Un grand espace central, souvent un salon ou une salle commune.
  • Des chambres ou des pièces privées autour, séparées par de simples cloisons.
  • Des annexes pour la cuisine ou le service, parfois à l’arrière ou séparées du volume principal.

On retrouve aussi quelques bâtiments massifs, de style plus monumental. Ici, la façade se compose de grandes arches, de balcons couverts, de colonnes décoratives. Ce sont souvent d’anciennes maisons de notables, des résidences d’administrateurs, ou des bâtiments publics réaffectés.

Enfin, une partie importante du décor vient des détails :

  • Claustras et treillages de bois pour ventiler tout en gardant de l’ombre.
  • Balcons larges, souvent peints dans des couleurs vives ou contrastées.
  • Ouvertures hautes, persiennes en bois, parfois vitrées, parfois protégées par des grilles.

L’ensemble donne des maisons qui tiennent debout depuis plus d’un siècle, parfois rafistolées, parfois en ruine, mais toujours reconnaissables à leur allure et à leur adaptation au climat.

Matériaux utilisés et adaptation au climat

Ces maisons sont construites avec les matériaux disponibles localement et ceux importés à l’époque coloniale. Le bois est omniprésent : il sert pour la structure, les piliers, les planchers, les balustrades et les fenêtres. Beaucoup de façades sont aussi en briques ou en pierres, enduites d’un crépi épais qui résiste aux intempéries. Sur certains bâtiments plus massifs, on voit l’usage de la brique et même du béton pour les éléments porteurs ou décoratifs, notamment sur les maisons administratives.

L’adaptation au climat passe d’abord par l’élévation du bâti, mais aussi par la ventilation naturelle. Les treillages en bois, les ouvertures de ventilation, ou les petites grilles hautes sous toiture permettent à l’air de circuler, même pendant la saison humide. Les toitures en tôle, bien que bruyantes sous la pluie, offrent une pente suffisante pour évacuer l’eau rapidement. Les avancées de toit et les galeries ombragées gardent l’intérieur plus frais en journée. Ce sont des maisons pensées pour durer.

Des couleurs et des styles venus d’ailleurs

À Boma, les maisons coloniales affichent des couleurs sobres ou passées. Beaucoup de façades gardent leur teinte ocre, beige ou marron, patinée par la pluie et le temps. Certaines maisons montrent encore des traces de bleu, surtout sur les balustrades, les piliers ou les encadrements de fenêtres. Ce bleu vif, souvent appliqué sur les détails architecturaux, crée un contraste avec la couleur dominante des murs.

Les styles varient selon la fonction ou l’époque. On retrouve de grandes maisons à toiture pyramidale et galeries en treillis, typiques de l’architecture coloniale adaptée au climat tropical. D’autres bâtiments sont plus massifs, avec des arches, des balcons couverts et des colonnes, comme l’immeuble à la façade jaune et bleue qui rappelle l’architecture administrative des années 1920-1930.

Les éléments décoratifs sont simples : treillages de bois, balustrades peintes, larges escaliers et auvents. Pas de surcharge : tout est pensé pour l’usage et la robustesse, avec parfois une touche colorée qui rappelle l’influence européenne, mais adaptée à l’environnement local.

grand bâtiment colonial à Boma

De l’administration à la vie quotidienne

À l’époque coloniale, ces maisons accueillaient surtout des fonctionnaires :

  • Gouverneurs, ingénieurs, cadres des compagnies du fleuve.
  • Quelques riches commerçants, souvent portugais ou grecs.

Chaque maison avait son jardin, parfois un potager, et souvent un poulailler à l’arrière. Les clôtures étaient basses. La vie sociale se jouait beaucoup sur la varangue. Après l’indépendance, beaucoup de ces maisons ont changé de main. Certaines sont devenues des bâtiments administratifs ou des écoles. D’autres sont tombées à l’abandon, faute d’entretien ou d’intérêt pour ce style perçu comme étranger.

Aujourd’hui, quand on se promène dans les rues de Boma, certaines de ces maisons paraissent fragiles, fissurées par le temps. Mais elles sont encore là. Elles rappellent une page complexe de l’histoire du pays, faite de violence mais aussi de métissage. Certains habitants disent que vivre dans une maison coloniale, c’est accepter d’habiter une histoire à double face : prestige architectural et mémoire lourde.

Rénovation, abandon ou destruction ?

Depuis une dizaine d’années, quelques initiatives cherchent à restaurer ces maisons. Une association locale tente de documenter les plus anciennes, de sensibiliser les propriétaires à leur valeur patrimoniale. Mais les moyens manquent. La pression immobilière, l’attrait pour le neuf, le manque de fonds poussent à la démolition. Plusieurs maisons du centre ont déjà disparu au profit d’immeubles à étage.

D’autres propriétaires bricolent comme ils peuvent : un morceau de tôle pour remplacer une tuile. Une couche de peinture sur un mur fendillé. Souvent, la restauration passe par le système D.

Certains habitants se souviennent de la fraîcheur sous les varangues et du bruit du fleuve la nuit.
Une institutrice m’a raconté qu’enfant, elle aimait regarder la pluie tomber depuis la véranda. Un ancien marin évoque la maison de son père, avec ses marches en pierre glissantes à la saison des pluies.

D’autres, plus jeunes, voient dans ces maisons un décor d’un autre temps, peu pratique, mal isolé, difficile à entretenir. Il arrive qu’on préfère construire en parpaing, pour “tourner la page”.

Les maisons coloniales face à l’avenir

Le débat sur la conservation ou non de ces maisons n’est pas facile. Il y a la question du coût, mais aussi celle de la mémoire. Certains plaident pour un inventaire précis. D’autres proposent d’en faire des musées ou des maisons d’hôtes, mais peu de projets voient vraiment le jour.

Le ministère de la Culture a lancé un recensement il y a quelques années, sans suite concrète à ce jour.
Les archives anciennes, souvent dispersées ou incomplètes, compliquent la tâche. On pourrait se dire que ce sont des reliques du passé. Mais pour qui s’intéresse à la ville, ces maisons sont un marqueur. Elles parlent d’un temps où Boma était la porte d’entrée du Congo pour le monde extérieur. Elles rappellent aussi que la ville n’a jamais cessé de changer, d’accueillir, de perdre, de transformer.

Si vous passez par Boma, il est facile d’en voir quelques-unes, surtout autour du port, du quartier administratif, ou près de la cathédrale. Certaines se visitent encore. D’autres ferment leurs volets, mais laissent deviner leur plan derrière les arbres. Prenez le temps de marcher, sans but précis, dans ces rues anciennes. Regardez les détails : une balustrade de fer forgé, une porte massive, un fronton effrité. Vous y verrez non seulement l’histoire d’une ville, mais aussi celle des gens qui y vivent.

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