Les maisons coloniales en bois typiques de Castries à Sainte Lucie

Vous traversez Castries, et tout à coup une façade en planches peintes apparaît entre deux immeubles récents. Un balcon court à l’étage. Des persiennes en lames de bois filtrent la lumière. Sous l’auvent, une dentelle de bois “gingerbread” découpe l’ombre. Vous êtes devant un morceau d’histoire : une maison coloniale en bois, née d’un savoir-faire local, pensée pour le climat et la vie de rue.

Un décor qui a survécu aux incendies

Castries a connu des feux à répétition. Le plus connu date du 19 juin 1948. Cette nuit-là, les flammes emportent l’essentiel du centre. L’office du tourisme parle de quarante îlots détruits, d’environ 809 familles sans logement et d’un centre réduit en cendres avant que des renforts venus de Vieux-Fort n’éteignent l’incendie. Ce drame a marqué durablement la mémoire collective de la capitale.

Certains récits officiels évoquent même une ville détruite aux trois quarts et un nombre de sinistrés plus élevé. Quelle que soit la statistique retenue, une réalité demeure : la plupart des maisons en bois de l’époque ont disparu, et celles que vous voyez aujourd’hui sont d’autant plus précieuses.

Plus tôt encore, d’autres sinistres et tempêtes avaient déjà fragilisé le bâti. Cette longue histoire explique pourquoi les survivantes attirent le regard. Elles ont franchi des épreuves et gardent une mémoire matérielle de la ville. Chaque façade encore debout témoigne de cette endurance patrimoniale.

maisons coloniales en bois à Castries

Un vocabulaire local : ti kay, jalousies et dentelles de bois

À Sainte-Lucie, la petite maison traditionnelle se dit ti kay. Elle s’organise autour d’un rez-de-chaussée en bois posé sur un soubassement, avec une galerie couverte sur rue ou un palier protégé à l’entrée. On la reconnaît à son bardage de planches (clapboard), à ses fenêtres à jalousies qui pivotent pour laisser l’air circuler, et à ses auvents profonds. Un décor de fretwork (dentelles découpées à la scie) anime souvent les garde-corps, les linteaux et les pignons. Ce langage vient d’un mélange d’influences créoles, africaines, françaises et britanniques, adapté par des charpentiers luciens.

Les motifs ajourés ne sont pas que décoratifs. Ils favorisent la ventilation, cassent les rafales et limitent la surchauffe des façades. Certaines maisons présentent un petit fronton ou un pinacle au faîtage. Ces détails répondent à la fois à une recherche d’équilibre et à des habitudes culturelles bien ancrées.

Un détail insolite revient dans la mémoire des artisans : l’usage de planches de fruit à pain (breadfruit) sur des bâtis vernaculaires, quand le bois était scié à la main lors de séances collectives.

ancienne maison coloniale en bois à Castries

Comment ces maisons gèrent le climat ?

La maison lucienne sait s’adapter à l’air marin, à la chaleur, aux pluies obliques, aux bourrasques. Son plan traversant crée des courants d’air. Les jalousies dosent l’ouverture. La galerie sert de pièce en plus à la saison chaude et abrite la façade. Les hauts plafonds évacuent l’air chaud.

Le débord de toiture protège les murs. Sur certaines, une charpente hybride (poteaux-poutres et ossature légère) renforce la tenue de l’ensemble, avec des fermes numérotées arrivées par bateau depuis d’autres anses. Vous lisez là une ingénierie lente, patiente, née d’essais répétés.

Où regarder à Castries ?

Autour de Derek Walcott Square, vous suivez un tracé clair : Brazil Street, Bourbon Street, Laborie Street, Micoud Street. La basilique et la bibliothèque encadrent la place, mais ce sont souvent les façades modestes qui accrochent l’œil. Avancez vers Chaussee Road et Grass Street : le secteur de Walcott Place rappelle l’enfance des frères Walcott et la morphologie des rues d’antan, avec leurs petites galeries en enfilade et des maisons de commerce aux étages habités.

Prenez aussi de la hauteur vers Morne Fortune. Là, la pente dévoile l’assemblage du port, des toits en tôle et des villas bois-maçonnerie qui dominent la rade. La vue aide à comprendre la relation entre la ventilation naturelle et l’orientation des maisons.

Walcott Place
Les bâtiments commerciaux près de Walcott Place

Un détour par la poésie

En 1948, un adolescent de Castries (Derek Walcott) écrit A City’s Death by Fire. La ville y devient matière, cendre, puis reprise. Lire ce poème après une marche dans le centre change le regard que vous portez aux survivantes de bois. Elles ne sont pas des reliques, mais des repères de vie.

Castries n’est pas seule : échos à Soufrière et Vieux-Fort

Si votre temps le permet, observez aussi Soufrière, l’ancienne capitale française. Vous y verrez des maisons en bois à galeries, avec des motifs proches, parfois plus simples, et des rues où la vie se déroule à l’ombre des porches. L’ensemble est un littoral de petites villes façonné par le commerce et les vents.

À Vieux-Fort, une demeure en bois centenaire a relancé un débat public localement : que faire pour conserver ce patrimoine du quotidien et en faire un levier local (artisanat, petites activités de quartier, visite à pied) sans en perdre l’âme ? La question est posée à l’échelle de l’île.

Reconstruire, réhabiliter, réutiliser

La reconstruction d’après-guerre a fait entrer des matériaux plus pérennes et des rues plus larges. Cela n’empêche pas les maisons en bois existantes de retrouver une seconde vie. Réhabiliter, c’est d’abord respecter les proportions : hauteur sous plafond, profondeur des galeries, dessin des menuiseries. C’est aussi accepter les matériaux d’origine, tout en traitant les points faibles.

  • Bois : traiter contre les termites, choisir des lasures ou peintures micro-poreuses.
  • Toitures : remplacer les tôles trop fines par des tôles profilées correctement fixées, ajouter des bandes anti-soulèvement, contrôler les liaisons au vent.
  • Jalousies et volets : réparer plutôt que remplacer par du PVC.
  • Galeries : consolider les poteaux, refaire les plinthes exposées aux éclaboussures, protéger les pieds par un léger soubassement drainant.

Ces gestes prolongent la vie du bâti sans le dénaturer. Ils coûtent moins cher qu’une reconstruction lourde et gardent la maison dans son contexte de rue.

maison coloniale en bois à Castries

Une visite pas à pas : repères pour lire une façade

Quand vous marchez dans Castries, cherchez ces signes :

  • Bardage horizontal en planches rabotées, parfois avec un léger chanfrein.
  • Porte double surmontée d’une imposte, pour l’air nocturne.
  • Fenêtres à jalousies avec cadres épais, faciles à entretenir.
  • Garde-corps ajourés, motifs répétitifs tirés du fretwork.
  • Auvent ou galerie qui dessine une “pièce” extérieure.
  • Escalier bref qui surélève le plancher, loin des ruissellements.

La somme de ces indices parle d’un climat et un mode de vie local : s’asseoir dehors, voir la rue sans subir le soleil, dormir fenêtre ouverte quand la brise tombe.

Walcott Place : un projet qui relie culture et patrimoine

Le site Walcott Place vise à restaurer la maison d’enfance des frères Walcott et à articuler autour d’elle un ensemble : musée, ateliers, petite salle, parcours dans le quartier. L’idée est de protéger une demeure, oui, mais aussi créer des usages pour qu’elle reste ouverte, fréquentée, utile aux habitants. Ce type d’initiative donne une colonne vertébrale aux rues autour de Chaussee Road et Grass Street.

walcott house museum

Pourquoi ces maisons comptent encore ?

On les aime pour leur silhouette. On les garde pour leur intelligence. La ventilation naturelle, la galerie comme tampon, l’ombre portée, tout cela répond à la chaleur et aux pluies, sans climatisation ni surépaisseur technique. Des historiennes et historiens locaux rappellent d’ailleurs que ces maisons en bois, bien entretenues, résistent souvent mieux qu’on ne le croit. C’est une école du “faire juste”, précieuse à l’heure où l’on cherche à réduire la consommation d’énergie dans les îles.

Conseils pour votre balade à Castries

  • Matin tôt ou fin d’après-midi : la lumière rase souligne les reliefs du fretwork et des planches.
  • Demandez l’autorisation pour photographier depuis une cour ou un perron.
  • Écoutez : la vie se passe sur la galerie. On s’y salue, on y peint une planche, etc.
  • Levez les yeux : les pignons disent beaucoup sur l’âge de la maison.

Et maintenant ?

Castries a “repoussé des cendres”, pour reprendre l’expression souvent utilisée sur l’île, et la ville continue d’évoluer. Les documents d’urbanisme regardent la capitale comme un cœur à réactiver, avec des usages mêlés et des parcours plus lisibles. Dans ce scénario, les maisons en bois ne sont pas un obstacle : elles offrent des rez-de-chaussée actifs, des étages habitables, des façades. Bref, un tissu de proximité.

Vous voilà mieux armé pour reconnaître ces maisons et les photographier. Elles ne crient pas. Elles parlent à voix basse : un motif découpé, une persienne ouverte, une tôle qui tinte quand passe l’averse. Elles vous emmènent sur la galerie, à hauteur de rue. C’est là que Castries reste la plus vivante.

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