Maracaibo a bâti sa renommée sur un tissu urbain bas et compact. Des façades alignées sur rue. Des portes hautes. Des grilles en fer. Et, derrière, des patios qui donnent de l’air. Vous découvrez ici un modèle d’habitat pensé pour la chaleur du Zulia, adapté au vent du lac et aux orages tropicaux. La balade se fait surtout autour de la Calle Carabobo et du quartier Santa Lucía, surnommé « El Empedrao » pour ses rues pavées. Ces secteurs relèvent d’une zone de valeur historique reconnue par décret national, ce qui explique la concentration d’édifices anciens et les efforts de restauration visibles sur place.
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Où regarder en ville ?
Calle Carabobo d’abord. C’est la carte postale. Une enfilade de maisons basses, un seul niveau, une trame serrée de façades jointives. La rue a reçu la protection officielle au titre de zone de valeur historique en 1990. Vous y voyez des maisons de périodes différentes, mais le profil colonial domine encore : baies étroites, corniches sobres, toits tuilés, grands vantaux en bois, et un pas-de-porte au ras du trottoir.
Santa Lucía ensuite. L’église néogothique marque le centre du quartier. Tout autour, des maisons peintes en aplats francs. Les couleurs forment une séquence dynamique qui souligne pilastres, encadrements et frises moulées. Les habitants parlent volontiers des « casitas de colores », devenues un repère culturel autant qu’un décor. On y sent un attachement fort au quartier, visible dans l’entretien des façades.
El Saladillo enfin, secteur historique aujourd’hui très transformé, mais dont la mémoire urbaine subsiste autour de la « Calle de la tradición ». Là encore, on lit la relation entre la rue et la maison : seuils alignés, percements réguliers, rythmes d’ombres donnés par les grilles et les avancées de toit.

Le plan-type : zaguán, salon, patio
Une maison coloniale de Maracaibo suit un schéma basique et clair. On entre par le zaguán, couloir large qui traverse la façade. Il mène à une pièce de réception et s’ouvre vers un patio.
Le patio distribue les pièces, apporte la lumière et rafraîchit. Ce plan favorise une bonne traversée de l’air, atout indispensable dans une ville chaude et humide. Un exemple documenté, la Casa de la Libertad, décrit aussi la « paroi de romanilla », c’est-à-dire des jalousies en bois sur cour qui régulent soleil et ventilation. C’était l’outil maison pour laisser passer la brise du lac sans surchauffer les pièces.


Une architecture de climat
Maracaibo affronte chaleur et hygrométrie élevées. Les maisons répondent par une série de détails : ouvertures hautes pour stratifier l’air chaud, ombrage des auvents, patios plantés, murs épais enduits à la chaux, sols minéraux faciles à ventiler la nuit. Les grilles (« rejas ») protègent tout en permettant l’aération permanente. Ces choix viennent d’une logique de confort avant l’électricité. On la retrouve autant dans les maisons de la Calle Carabobo que dans les demeures plus importantes du centre.

Matériaux et mise en œuvre
La technique locale la plus répandue fut longtemps le bahareque, un système de poteaux bois et de remplissage en terre, cannes et fibres végétales. Une étude universitaire conduite au Zulia a documenté 17 maisons traditionnelles (urbaines, périurbaines et rurales) et décrit la répartition des éléments : horcones (poteaux), enlatado (lattis), embutido (remplissage) et enduits. On y apprend que le bois de curarire était très utilisé pour sa dureté et sa résistance, que la canne brava formait l’armature secondaire, et que l’absence de barrière contre l’humidité à la base des poteaux expliquait certaines pathologies.
Cette même étude signale la présence assumée de la couleur en façade, plutôt que le blanc. Les enduits reçoivent des teintes chaudes ou franches. C’est une constante régionale qui fait écho aux pigments disponibles et à un usage social du chromatisme pour distinguer une maison dans une trame dense.
À côté du bahareque, vous rencontrez de la maçonnerie de brique ou de pierre locale, souvent enduite. Les toitures utilisent la tuile canal sur charpente bois, avec une pente suffisante pour évacuer les averses. La Calle Carabobo montre ce mix : des structures anciennes ré-enduites et des encadrements plus récents, parfois avec des moulures replâtrées lors des campagnes de remise en peinture.


Détails à ne pas manquer
- Les rejas : elles dessinent la façade. Modèles simples ou barreaudages plus ouvragés selon les maisons. Leur profondeur crée une zone d’ombre très utile contre le rayonnement.
- Les portes : grand vantail, imposte vitrée parfois, heurtoirs.
- Les corniches : un larmier net, parfois sur modillons, protège l’enduit
- Les percements : rythmes réguliers, allèges parfois épaisses qui confirment l’épaisseur des murs.
- Les sols côté rue : bordures, ressauts, seuils usés par le passage.
Ces indices montrent la vie longue de ces habitations coloniales. Dans Santa Lucía, regardez aussi les frises en relief et certains encadrements à motifs géométriques. L’église apporte une touche néogothique rare dans la ville et souligne le contraste avec l’habitat bas aux alentours.

Un cœur urbain, des monuments voisins
Même si vous venez pour les maisons, vous croiserez des bâtiments civils et religieux majeurs. La basilique de Nuestra Señora de Chiquinquirá, lieu de pèlerinage, articule plusieurs strates de construction, des origines modestes du XVIIe siècle à l’édifice actuel. Elle raconte l’extension de la ville vers le lac et la permanence d’un centre cérémoniel. Autour, le théâtre Baralt, la cathédrale et des sièges administratifs jalonnent le parcours patrimonial. Ce contexte renforce l’intérêt de la Calle Carabobo.

Pourquoi ces maisons tiennent encore ?
Parce qu’elles s’appuient sur des savoir-faire transmis. Les « alarifes » d’hier ajustaient l’ossature en bois dur, dimensionnaient les portées courtes, multipliaient les appuis. Les matériaux venaient du proche environnement, ce qui facilitait les réparations. Et parce qu’elles répondent juste au climat : peu de hauteur, murs lourds, plan ventilé. Dans les années récentes, les classements patrimoniaux et les restaurations ciblées ont donné une seconde chance à plusieurs rues du centre.
Vous verrez des teintes très marquées. Certaines sont historiques, d’autres plus récentes. Ce n’est pas un débat théorique : la couleur fait venir des visiteurs, soutient des commerces et engage les habitants. La Calle Carabobo montre des exemples équilibrés qui fonctionnent bien avec la lumière du Zulia.

Une anecdote locale
Un architecte du cru me confiait avoir appris le mot « paraqué » chez sa grand-mère, ce vestibule qui s’ouvre après le zaguán. « Para qué ? » demandait-il enfant, intrigué par cette pièce tampon. La réponse était simple : pour tout. Recevoir, laisser sécher, discuter. Dans la Casa de la Libertad, cette pièce d’attente existe bel et bien, preuve que les mots populaires gardent souvent une vérité spatiale.