Nichées dans les montagnes reculées du centre de Madagascar, les maisons en bois des Zafimaniry attirent depuis longtemps l’attention des passionnés d’architecture vernaculaire. Ici, l’habitat ne se contente pas d’abriter. Il il transmet, il relie. Loin des standards contemporains, chaque planche assemblée, chaque chevron sculpté, témoigne d’un savoir-faire transmis de génération en génération.
Cet article propose de découvrir l’ingéniosité des constructions zafimaniry, d’en décrypter la structure, les matériaux et les usages, tout en évoquant les défis liés à leur conservation.
Un héritage vivant au cœur du pays betsileo
Les Zafimaniry vivent dans une quarantaine de villages disséminés dans les hautes terres du sud-est de Madagascar, principalement autour d’Ambositra. Leur identité culturelle s’exprime fortement à travers l’habitat. En 2003, leur art du bois a d’ailleurs été inscrit au Patrimoine de l’humanité par l’UNESCO.
L’isolement géographique de cette région a permis de préserver des pratiques architecturales uniques, sans influence extérieure marquée. Ici, l’habitation est collective, évolutive, construite à la main selon des principes anciens. Aucun clou. Aucun métal. Juste du bois local, assemblé par des techniques locales.

Des matériaux issus de la forêt
Les Zafimaniry ont développé un art de la construction en bois qui repose sur l’utilisation de vingt espèces d’arbres endémiques. Chaque essence est choisie avec soin pour ses qualités spécifiques, qu’elles soient structurelles ou décoratives. Cette sélection rigoureuse témoigne d’une connaissance approfondie des propriétés du bois et d’une adaptation harmonieuse à l’environnement local.
Une diversité d’essences pour des usages variés
Les artisans Zafimaniry exploitent une palette d’essences locales, chacune répondant à des besoins :
- Palissandre (Dalbergia spp.) : apprécié pour sa robustesse et sa durabilité, il est utilisé dans les éléments porteurs des maisons en bois du peuple Zafimaniry.
- Voanio (Ravensara spp.) : résistant à l’humidité et aux insectes, cette essence de bois est surtout privilégiée pour les structures qui sont exposées aux intempéries.
- Roseau (Phragmites spp.) : léger et flexible, il sert à la confection des toitures et des cloisons.
- Katafa (Cedrelopsis grevei) : bois dense et imputrescible, il est idéal pour les fondations des habitations et les éléments qui sont en contact direct avec le sol.
- Khaya madagascariensis : bois précieux au grain fin, utilisé pour les sculptures et ornements.
Cette diversité permet aux Zafimaniry de construire des habitations entièrement en bois, sans recourir à des matériaux métalliques. Les assemblages sont réalisés par emboîtement, selon des techniques traditionnelles anciennes transmises de génération en génération.


Une gestion durable des ressources forestières
La relation des Zafimaniry avec la forêt est empreinte de respect. Les arbres sont sélectionnés en tenant compte de leur maturité et de leur disponibilité. Cette approche durable vise à préserver l’équilibre de l’écosystème forestier et à assurer la pérennité des ressources pour les générations futures.
Cependant, la déforestation et la pression foncière menacent cet équilibre. Certaines espèces deviennent rares, rendant l’approvisionnement plus difficile. Face à ces défis, des initiatives locales et internationales œuvrent pour la conservation des forêts et la valorisation des savoir-faire traditionnels.
Une structure sobre, pensée pour durer
De l’extérieur, les maisons zafimaniry paraissent simples. Un volume rectangulaire, posé sur pilotis ou sur une base de pierres sèches, avec un toit à deux pans très pentu. Pourtant, chaque détail est maîtrisé. Les piliers d’angle supportent une charpente assemblée par tenons, mortaises et chevilles de bois. Le tout repose sur une base surélevée, qui protège de l’humidité et permet une circulation d’air en dessous.
Le toit, recouvert de bardeaux ou de feuilles séchées, présente une pente accentuée qui favorise l’écoulement des eaux de pluie. Il déborde souvent largement, formant un auvent naturel qui protège les parois. L’absence de gouttière est compensée par une disposition judicieuse des débords.
Une ornementation riche de sens
Chez les Zafimaniry, rien n’est laissé au hasard. Le bois, omniprésent dans l’habitat, devient un support d’expression. Chaque surface visible (piliers, portes, volets, meubles) est recouverte de gravures géométriques appelées sokitra. Ces motifs ne décorent pas uniquement, ils racontent une histoire, marquent un statut, ou invoquent une protection. Les sokitra, transmis oralement, forment un langage visuel que chaque artisan interprète à sa manière. Leur répétition, leur rythme et leur précision donnent naissance à des façades vibrantes de sens et de beauté. Ce travail minutieux, réalisé à la main avec des outils simples, confère aux maisons zafimaniry une singularité rare. L’ornement n’est donc pas un ajout superficiel, mais un élément structurant de l’architecture et de la vie quotidienne.


Un espace intérieur minimal, mais symbolique
À l’intérieur, l’aménagement est spartiate. Le foyer, situé au centre de la pièce principale, structure l’organisation. Il symbolise la permanence, le cœur du foyer au sens littéral comme au figuré.
Autour de lui, les places sont hiérarchisées. Le chef de famille se tient face à l’entrée, les invités à droite, les femmes à gauche. Les enfants et les anciens ont des places attribuées. Les murs intérieurs peuvent être nus ou ornés de paniers, outils, ou objets rituels. Pas de cloison : l’espace est partagé, adaptable.

Une maison construite pour se transmettre
Une maison zafimaniry se construit à plusieurs. Le chantier mobilise la famille, le voisinage, parfois le village tout entier. Ce n’est pas qu’un acte technique, c’est un rituel collectif. L’homme dirige les opérations, la femme veille aux détails, aux repas, à l’organisation.
Ce type d’habitation est conçu pour durer des décennies. Les réparations se font à la main, les matériaux sont renouvelés à l’identique, les motifs sculptés sont restaurés avec respect. Lorsqu’une maison est transmise, ce n’est pas seulement un bien : c’est une mémoire familiale.
Des menaces bien réelles
Aujourd’hui, ces maisons sont de plus en plus rares. Le bois de qualité se fait plus difficile à trouver. La déforestation, la pression foncière, la modernisation des modes de vie modifient l’architecture. Beaucoup de jeunes Zafimaniry préfèrent les constructions en dur, moins exigeantes à entretenir.
De nombreuses habitations en bois sont abandonnées ou remplacées par des maisons en parpaings. Or, sans transmission, les gestes s’oublient. Le savoir-faire décline. Les initiatives de préservation existent, portées par des ONG, des architectes malgaches ou étrangers. Certaines visent à réactiver les filières de bois local durable, d’autres à former une nouvelle génération d’artisans.

S’en inspirer sans dénaturer
Si vous vous intéressez à ce type de construction, plusieurs pistes permettent de s’en inspirer :
- Valoriser les matériaux naturels : bois massif non traité, finitions à la cire ou à l’huile.
- Favoriser les assemblages traditionnels : tenons, mortaises, chevilles, sans clous ni vis.
- Penser une ornementation cohérente : motifs sculptés ou gravés, respectueux du sens originel.
- Reproduire l’agencement ouvert : pièce principale modulable, foyer central, mobilier intégré.
Il est possible d’adapter certains principes dans des projets de maison en bois contemporaine : par exemple, la toiture débordante, la ventilation naturelle, ou encore l’usage de cloisons amovibles. Ces solutions peuvent enrichir les approches bioclimatiques actuelles.



Une architecture qui mérite d’être protégée
Les maisons en bois des Zafimaniry ne sont pas figées dans un passé idéalisé. Elles montrent qu’il est possible de bâtir sans dépendre du ciment ou de l’acier, en respectant un environnement forestier, tout en créant des formes élégantes, pratiques et durables. C’est un équilibre fragile, mais porteur de sens. En France comme ailleurs, ce modèle peut inspirer de nouvelles façons d’habiter, plus sobres, plus proches des matériaux locaux, et plus respectueuses des rythmes de la nature.
Préserver ces maisons, c’est préserver un rapport au monde. C’est aussi reconnaître que l’architecture vernaculaire peut dialoguer avec les défis contemporains, sans perdre son âme.