Riga est souvent présentée comme la capitale de l’Art nouveau. C’est vrai, mais ce n’est qu’une partie de l’histoire et de l’architecture de Riga. Derrière les façades sculptées du centre historique se cache également une autre ville, plus basse, plus intime : celle des anciennes maisons en bois.
Aujourd’hui encore, on estime qu’il subsiste autour de 4 000 bâtiments en bois à Riga, du XVIIIᵉ au XXᵉ siècle. Cela en fait l’une des grandes capitales européennes où ce type de bâti est encore très présent.
Cet article vous propose un regard d’architecture sur ces habitations. L’idée est de comprendre d’où viennent ces maisons en bois, comment elles sont construites, comment elles sont restaurées.
Riga, capitale de briques… et de bois
Quand vous arrivez à Riga, tout vous mène vers la vieille ville et les façades Art nouveau du boulevard Elizabetes ou d’Alberta iela. C’est logique : le centre historique est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997 pour son ensemble médiéval, ses immeubles du tournant du XXᵉ siècle… et aussi pour ses groupes de bâtiments en bois, qui font partie des valeurs reconnues par l’UNESCO.
Ce dernier aspect surprend souvent les visiteurs. Riga n’est pas un village muséal, c’est une grande ville. Imaginer des quartiers entiers de maisons en bois semble contre-intuitif. Et pourtant, il y a peu, la ville comptait encore environ 12 000 édifices de ce type. Moins d’un siècle plus tard, il en reste près d’un tiers. Cette présence massive de maisons en bois ne tient pas au hasard. Elle découle de l’histoire de la ville hanséatique, du coût des matériaux, des incendies répétés et des règlements qui ont longtemps limité la construction en pierre à l’intérieur des fortifications. En dehors, le bois dominait largement.
D’où viennent ces maisons en bois ?
Pour comprendre les habitations en bois de Riga, il faut regarder vers la rive gauche de la Daugava, appelée Pārdaugava, littéralement « de l’autre côté du fleuve ». C’est là que se structurent des faubourgs de bois dès le XVIIᵉ siècle. À l’époque, la ville fortifiée de l’autre rive concentre la pierre, la brique et les fonctions prestigieuses. Les quartiers en bois jouent plusieurs rôles successifs :
- au départ, une sorte de bande défensive pour la ville : en cas de conflit, on peut incendier les constructions de bois pour dégager le champ de tir (oui, vous avez bien lu).
- ensuite, une zone de manoirs suburbains construit également en bois pour les familles aisées qui veulent plus d’air, de jardins et moins d’agitation que dans la ville serrée.
- enfin, avec l’industrialisation au XIXᵉ siècle, des lotissements d’ouvriers, d’artisans, de petits commerçants. Le quartier prend alors une allure populaire, serrée et tournée vers le travail.
Le bois s’impose pour des raisons très terre à terre : il est disponible, moins cher que la maçonnerie, plus rapide à mettre en œuvre. Les autorités limitent les grandes constructions en pierre en dehors du centre pour réduire les risques d’incendie majeur. Cette combinaison produit ce paysage typique : un noyau dense en matériaux « nobles », entouré de couronnes de maisons en bois à étages.
Pārdaugava : un faubourg à taille humaine
Si vous voulez saisir ce que représentent les maisons en bois de Riga, allez à Āgenskalns, dans le quartier historique de Pārdaugava. On le décrit souvent comme le « cœur en bois » de la ville.
Les rues y portent encore la logique des anciens faubourgs :
- des axes anciens, devenus de simples rues, alignent de grandes maisons à deux niveaux, parfois avec un soubassement en brique. La transition entre ville et faubourg y reste lisible.
- à l’arrière, des parcelles plus profondes accueillent des volumes plus modestes, parfois des annexes, des remises, d’anciens ateliers. Ces activités passées structurent encore le dessin des îlots.
Un matin de semaine, vous y croisez des enfants cartable au dos, des retraités qui discutent sur un banc, un chat étendu sur un perron en bois un peu usé. La scène est banale, mais elle montre quelque chose : ce patrimoine est encore habité, il ne se limite pas à des façades restaurées pour les photos.
Architecturalement, les maisons d’Āgenskalns mélangent plusieurs influences :
- un vocabulaire néoclassique tardif : frontons, pilastres en bois, rythmes réguliers de fenêtres.
- des ajouts plus tardifs : bow-windows vitrées, décorations de planches découpées héritées de la tradition paysanne. On y voit la touche des menuisiers qui adaptaient leurs motifs.
- des volumes assez simples, souvent parallèles à la rue, avec toit à deux pentes et pignons modestement décorés. Cette sobriété renforce la lecture linéaire des rues.
Ce n’est ni un quartier-musée, ni un alignement de villas ou de demeures luxueuses. C’est un tissu urbain de faubourg, encore marqué par la mixité des usages : habitat, commerces, ateliers.
Kalnciema Quarter : laboratoire de restauration
Vous avez sans doute déjà vu des photos du Kalnciema Quarter : ces anciennes habitations de bois colorées, restaurées, dans une rue assez large qui conduit vers l’aéroport. L’ensemble regroupe plusieurs bâtiments de la fin du XVIIIᵉ et du XIXᵉ siècle, restaurés à partir des années 2000.
Le lieu est devenu une sorte de vitrine de ce qu’une restauration attentive peut donner :
- réemploi des structures d’origine à chaque fois que possible.
- restitution des volumes et des proportions historiques.
- mise en avant des détails en bois : encadrements de fenêtres, frises, menuiseries de porches.
Les façades sont généralement peintes dans des tons relativement soutenus, parfois contrastés. Cela ne relève pas du décor de carte postale : la couleur fait partie de l’identité de ces maisons, qui devaient se distinguer dans la grisaille hivernale tout en respectant les règlements locaux.
Sur le plan des usages, les maisons abritent aujourd’hui un mélange de bureaux, de cafés, de restaurants, de salles d’exposition, de boutiques et de logements. Le week-end, les marchés de producteurs et d’artisans attirent aussi bien des habitants du quartier que des visiteurs de passage.
Pour l’architecte ou l’urbaniste, Kalnciema sert d’exemple : il montre qu’un ensemble de maisons en bois peut être restauré sans être transformé en décor pour touristes. Pour le promeneur, c’est un bon point de départ avant d’aller voir des rues moins « mises en scène », mais tout aussi intéressantes.
Comment sont construites ces maisons de Riga ?
Les maisons en bois de Riga ne forment pas un type unique. Elles couvrent plus de deux siècles de construction et d’évolution. Mais on retrouve quelques constantes.
D’abord, la structure. On rencontre :
- des constructions à madriers empilés, dans la continuité de la maison rurale, souvent dans les bâtiments les plus anciens. On perçoit encore la logique constructive des campagnes lettones.
- des ossatures bois plus légères, avec planchers portés par des solives et remplissage en planches ou en panneaux, surtout à partir du XIXᵉ siècle. Une méthode adaptée à la croissance urbaine.
Ensuite, l’enveloppe. Le bois structurel est presque toujours recouvert d’un bardage :
- posé à l’horizontale ou à la verticale selon les périodes.
- plus ou moins mouluré, avec des profils qui marquent les joints entre planches.
- parfois associé à un soubassement en brique ou en pierre, qui protège la base des murs de l’humidité et de la neige. Un appui solide pour un bâti sensible au climat.
Le décor joue beaucoup avec cette enveloppe. Plutôt que de grands éléments sculptés, vous voyez un travail minutieux, précis et pensé pour animer discrètement la façade :
- encadrements de fenêtres ornés de motifs géométriques.
- lambrequins sous les toits.
- garde-corps de balcons découpés, parfois inspirés des motifs de broderies lettones.
À l’intérieur, les distributions varient. Certaines habitations sont divisées dès l’origine en plusieurs appartements, d’autres conservent une grande pièce centrale et des pièces latérales plus petites. Les couloirs sont généralement étroits, pour limiter les surfaces à chauffer. Les plafonds des maisons peuvent être bas dans les parties anciennes, plus élevés dans les ajouts du tournant du XXᵉ siècle.
Habiter une maison en bois aujourd’hui
Vivre dans une maison en bois à Riga aujourd’hui, ce n’est pas seulement profiter d’un joli décor. C’est un choix qui suppose des compromis. Sur le plan du confort, les habitants gagnent en ambiance intérieure : surfaces chaudes au toucher, acoustique douce, petite échelle du quartier. En revanche, l’isolation des maisons d’origine est loin des standards actuels. Les campagnes de rénovation énergétique cherchent donc à améliorer murs, toitures et fenêtres… sans dénaturer les façades historiques.
La question du feu reste très présente. Les règles de sécurité sont plus strictes, les installations électriques sont contrôlées, les toitures sont surveillées. Les habitants sont souvent sensibilisés à ces sujets, notamment dans les quartiers les plus anciens.
Socialement, les maisons en bois se trouvent au croisement de deux dynamiques opposées :
- dans certains secteurs, le bâti se dégrade par manque d’entretien, faute de moyens.
- dans d’autres, la restauration entraîne une hausse des loyers et des prix, avec une forme de gentrification, surtout dans les secteurs bien situés de Pārdaugava.
Pour le visiteur, cela signifie une chose : quand vous photographiez une façade, vous photographiez un logement occupé, pas un décor. Un peu de discrétion, souriez si vous croisez le regard de quelqu’un.
Préserver 4 000 maisons en bois : un défi urbain
Préserver près de 4 000 bâtiments en bois dans une capitale n’a rien d’évident. Les autorités locales le savent bien. Les documents de planification du centre historique et de sa zone tampon, liés au statut UNESCO, évoquent clairement la fragilité des tissus anciens face aux projets immobiliers récents.
Les risques sont multiples :
- démolition d’édifices jugés « peu rentables » pour laisser place à des immeubles plus hauts.
- rénovation trop lourde qui efface les détails d’origine.
- abandon progressif de maisons appartenant à plusieurs héritiers, sans accord sur les travaux.
Face à cela, plusieurs leviers sont mobilisés :
- protection juridique de certains ensembles de maisons en bois.
- programmes de soutien à la restauration, sous condition de respecter les caractéristiques d’origine.
- sensibilisation des habitants, avec visites guidées, événements culturels, marchés locaux, comme à Kalnciema. Ces moments créent un lien direct entre les habitants et le patrimoine.
Dans les pays de la Baltique, la question des villes de bois fait l’objet d’échanges entre experts : comment garder la vie dans ces quartiers sans les transformer en vitrines. Riga fait partie de ces terrains d’observation, au même titre que des villes comme Kuldīga ou Aizpute pour les centres plus petits.
Comment découvrir les maisons en bois de Riga ?
Si vous préparez un séjour à Riga et que vous aimez l’architecture, vous pouvez réserver une demi-journée aux maisons en bois. Pas besoin de programme compliqué, mais quelques repères aident.
Commencez par franchir la Daugava et allez à Āgenskalns. Une fois sur place, laissez-vous guider par les alignements de façades en bois, en restant sur les trottoirs et en évitant de pénétrer dans les jardins.
Faites ensuite un détour par le Kalnciema Quarter. Même si le lieu est plus fréquenté, il est incontournable pour découvrir les maisons en bois de Riga. Les panneaux explicatifs et les événements du week-end donnent des clés de lecture accessibles, même si vous n’êtes pas spécialiste.
Si vous avez un peu plus de temps, élargissez à d’autres secteurs de Pārdaugava, voire à Kipsala, où l’on trouve aussi des maisons en bois, parfois au contact de constructions plus récentes. Vous verrez comment ce patrimoine cohabite avec une ville qui continue à se transformer.
En sortant de ces quartiers, vous regarderez peut-être différemment les grandes façades Art nouveau du centre. Vous saurez qu’à quelques arrêts de tram, des rues entières de maisons en bois racontent une autre Riga, plus modeste, mais tout aussi révélatrice de l’histoire urbaine de la ville.