Aux Fidji, le paysage architectural oscille entre constructions modernes en béton, églises missionnaires héritées du XIXᵉ siècle, stations balnéaires destinées au tourisme international comme les villas de luxe de Laucale… et un patrimoine vernaculaire encore bien vivant : la bure, maison traditionnelle fidjienne.
Adaptée au climat tropical humide du Pacifique sud, elle incarne une architecture intelligente, façonnée par des siècles d’expérience et d’observation de l’environnement. Loin d’être un simple abri en bois et en chaume, la bure reflète aussi l’organisation sociale, culturelle et spirituelle des Fidji.
Contexte climatique et contraintes environnementales
Les Fidji forment un archipel de plus de 300 îles dans le Pacifique sud, situé entre Viti Levu et Vanua Levu et dispersé sur une vaste zone océanique. Selon la Fiji Meteorological Service, le climat est tropical maritime, avec une température moyenne de 22 à 26° et une humidité élevée toute l’année. Les précipitations abondantes et les cyclones saisonniers obligent les habitations à être :
- Ventilées naturellement
- Résistantes à l’humidité
- Capables de tenir face aux vents violents
C’est dans ce contexte que s’est développée la bure, une architecture climatique par excellence.


Origine et rôle social de la bure
Dans la tradition fidjienne, on distingue plusieurs types d’habitations :
Type de maison | Fonction |
---|---|
Vale | Maison familiale pour dormir et vivre |
Bure kalou | Maison des hommes, édifice cérémoniel / religieux |
Bure ni sa (ou ni bose) | Maison communautaire servant aux réunions |
Comme le rappelle le Fiji Museum de Suva, la bure n’est pas qu’un lieu de résidence : elle organise la vie sociale selon les principes du clan (mataqali) et du chef de village (turaga ni koro).
Matériaux locaux et techniques traditionnelles
La bure repose sur des matériaux disponibles sur les îles, souvent issus des ressources forestières indigènes et récoltés selon des pratiques respectueuses de l’environnement et des cycles naturels :
- Structure : pieux en bois de vesi (Intsia bijuga), dakua (Agathis macrophylla) ou mangrove
- Liaisons : ligatures en fibres de coco tressées (magimagi)
- Murs : tiges de bambou ou roseaux
- Chaume : feuilles de pandanus ou de canne à sucre (sasa)
- Sol : terre battue parfois surélevée pour éviter l’humidité
Les assemblages traditionnels sans clous ni métal sont conçus pour absorber les contraintes du vent. L’UNESCO souligne dans un rapport de 2016 que ces techniques participent à la résilience architecturale face aux cyclones. Elles réduisent également les risques d’arrachement en cas de tempête.

Forme et adaptation climatique
Une bure traditionnelle possède une forme légèrement pyramidale ou rectangulaire avec un toit fortement incliné, soutenu par une charpente dense en bois local. Cette configuration permet :
- Évacuation rapide des fortes pluies
- Protection contre la surchauffe grâce au chaume épais
- Ventilation par convection thermique
- Résistance mécanique face au vent
L’absence de fenêtres n’est pas un hasard : cela limite l’entrée de chaleur et renforce la stabilité en cas de vents violents. Cela évite également les infiltrations d’eau durant les fortes pluies tropicales.



Un espace de vie sobre mais fonctionnel
L’intérieur d’une bure est souvent sombre, mais reste confortable grâce à l’usage :
- De tapis tressés (nattes en pandanus appelées ibe).
- D’un foyer central (lovo), utilisé pour la cuisson ou la chaleur.
- D’une organisation hiérarchisée : la place du chef et des visiteurs d’honneur est déterminée par la coutume. Cette répartition spatiale exprime le respect des rôles sociaux au sein du clan.

Symbolique et spiritualité
Certaines bures, notamment les bure kalou avant la christianisation des Fidji au XIXᵉ siècle, servaient de lieux rituels. Elles accueillaient des objets sacrés, des offrandes, et parfois le bete (prêtre traditionnel). Aujourd’hui, ces espaces ont disparu, mais ils demeurent dans la mémoire collective fidjienne.

La bure contemporaine et le tourisme
Avec le développement du tourisme, le terme bure a été récupéré pour désigner des bungalows hôteliers de luxe. Pourtant, ces constructions modernes n’ont souvent plus grand-chose de traditionnel, mis à part l’esthétique, désormais largement stylisée pour plaire aux visiteurs étrangers. Elles incluent :
- Eau courante et électricité
- Baies vitrées
- Climatisation
- Plomberie
L’industrie touristique s’est approprié la bure pour en faire un symbole exotique. Comme l’analyse le Fiji Tourism Development Plan (2017–2021), cette évolution pose la question de l’authenticité culturelle.


Préservation et transmission
Aujourd’hui, la bure est utilisée dans les zones rurales, notamment sur Vanua Levu, Kadavu et les Yasawa. Des initiatives locales encouragent sa restauration selon les savoir-faire traditionnels, notamment :
- Programmes communautaires soutenus par le Fiji Museum
- Projets de transmission du tressage des fibres de coco magimagi
- Sensibilisation aux constructions climato-résilientes face au changement climatique
La bure fidjienne est une architecture résiliente, adaptée au climat, porteuse de sens social et culturel. Elle prouve que les architectures vernaculaires du Pacifique ne sont ni primitives ni dépassées, mais au contraire durables, ingénieuses et inspirantes pour la construction écologique contemporaine.