Britten House : une maison unique conçue pour Sir Desmond Britten

Au sud de Wellington, à l’entrée de la petite ville côtière de Eastbourne, la Britten House fait figure d’exception dans le paysage résidentiel néo-zélandais. Construite entre 1973 et 1975 par l’architecte Roger Walker, cette maison privée incarne une approche architecturale singulière : expressive, ludique, individualiste, mais toujours fonctionnelle. À une époque dominée par l’orthodoxie moderniste, la Britten House propose un contre-modèle : celui d’une architecture habitée, faite de volumes sculpturaux, de clins d’œil vernaculaires et d’une attention millimétrée portée à l’expérience quotidienne.

Contexte historique : l’architecture néo-zélandaise au tournant des années 1970

Dans les années 1970, la Nouvelle-Zélande vit un moment de transition. Le style international, hérité de l’école Bauhaus et du modernisme européen, règne sans partage dans les constructions publiques et privées. Les lignes sont tendues, les matériaux bruts, les maisons souvent carrées, fonctionnelles, mais sans grande expressivité. C’est dans ce contexte qu’émerge Roger Walker, un jeune architecte formé à Wellington, désireux de rompre avec les codes architecuraux dominants.

Son ambition ? Réintroduire la fantaisie dans l’acte de construire, questionner la standardisation, et remettre au centre de la conception la relation entre l’usager, la nature et le bâtiment. La Britten House, commandée par John Britten, devient l’un des premiers terrains d’expérimentation de cette vision.

Une architecture narrative, presque organique

Dès l’extérieur, la Britten House déroute. Toits pointus, volumes juxtaposés sans symétrie apparente, escaliers extérieurs, fenêtres rondes ou triangulaires… Le plan de la maison refuse la logique rectiligne habituelle. Ici, chaque partie semble avoir une histoire. Roger Walker lui-même qualifie cette approche de romantisme néo-expressionniste, un courant qu’il développe en marge des tendances internationales.

La maison est constituée d’un assemblage de petits pavillons imbriqués, reliés entre eux par des passerelles, des demi-niveaux, des cages d’escalier décentrées. Ce morcellement volontaire vise à refléter la diversité des usages et des personnalités qui cohabitent sous un même toit. On est loin du plan unique pensé comme une machine à habiter. Ici, chaque volume a sa fonction, presque son autonomie.

Matériaux et implantation : une adaptation au site

Construite principalement en bois et en fibrociment, la Britten House puise dans les ressources locales. Le choix du bois n’est pas anodin : il permet à la maison de dialoguer avec la végétation environnante, tout en évoquant certaines traditions constructives de la région. Les charpentes apparentes, les bardages verticaux, les menuiseries sur mesure participent à cette mise en scène architecturale.

L’implantation elle-même est étudiée avec la plus grande attention. La demeure suit la pente du terrain, ce qui permet de limiter les mouvements de terre et d’intégrer le bâti au relief existant.

L’orientation privilégie la vue sur la mer et optimise l’ensoleillement naturel dans les pièces de vie. Le tout forme un ensemble très travaillé, sans jamais sombrer dans l’ostentatoire.

vue britten house

Une organisation intérieure libre et inventive

À l’intérieur, l’organisation des espaces défie les conventions. On ne trouve pas de corridor traditionnel ni de cloisonnement rigide. Les pièces s’enchaînent par glissements successifs, créant des perspectives changeantes, des vues croisées et une circulation fluide. La lumière pénètre par des ouvertures multiples, parfois inattendues, qui modifient la perception de l’espace au fil de la journée.

Le cœur de la maison est un salon central à double hauteur, surplombé par une mezzanine suspendue. Des escaliers relient les différents niveaux en diagonale, renforçant l’idée d’un parcours, presque d’une promenade architecturale. Loin des standards néo-zélandais de l’époque, la Britten House ne cherche pas à plaire à tout le monde : elle assume une logique intérieure conçue pour ses habitants.

Roger Walker : un architecte inclassable

Avec la Britten House, Roger Walker s’affirme comme une figure atypique du paysage architectural néo-zélandais. Loin de se contenter de transposer des modèles venus d’ailleurs, il élabore un langage propre, fortement influencé par le postmodernisme naissant mais aussi par les architectures vernaculaires : cabanes, phares, hangars, maisons coloniales. Il revendique un droit à l’expérimentation.

Sa démarche inspire une génération d’architectes locaux, mais aussi de commanditaires en quête de projets plus personnels. Plusieurs de ses maisons, construites dans les années 1970-1980, poursuivent cette même logique d’assemblage, de rupture d’échelle et de détails singuliers. Toutefois, la Britten House reste l’une de ses réalisations les plus marquantes, par son audace et sa cohérence globale.

La Britten House de nos jours

Aujourd’hui, la Britten House est toujours habitée et entretenue. Elle est régulièrement citée dans les ouvrages d’histoire de l’architecture néo-zélandaise comme un jalon majeur de l’architecture résidentielle contemporaine. Son influence dépasse même les frontières de l’archipel. Plusieurs écoles d’architecture, en Australie ou au Japon, l’intègrent dans leurs études de cas consacrées à l’architecture expressive.

Le bâtiment démontre qu’il est possible de concevoir une maison radicale sans sacrifier le confort, de créer une structure originale sans renoncer à sa fonction. En cela, la Britten House de Roger Walker constitue un véritable manifeste, non pas de théorie, mais de pratique.

Ce qu’on peut en retenir pour aujourd’hui

Si vous êtes sensible à l’architecture non conventionnelle, la Britten House offre plusieurs enseignements concrets. D’abord, elle rappelle que chaque projet peut (et doit) être pensé en lien étroit avec le site, le mode de vie et les envies réelles de ses occupants. Le plan standardisé ne convient pas à tout le monde, et l’originalité n’est pas un luxe inutile – elle peut être une réponse adaptée à un besoin particulier.

Ensuite, la maison montre que les matériaux simples, locaux, bien mis en œuvre, peuvent suffire à créer une forte identité architecturale. Pas besoin de marbre ou d’acier corten pour donner du caractère à une construction : la cohérence des formes, des textures et des détails suffit souvent à marquer les esprits.

Enfin, la Britten House rappelle que l’architecture n’est pas qu’une affaire de règles, de surfaces ou de conformité : c’est aussi une affaire de vie, de mouvement, d’interaction. Elle ouvre une voie aux projets d’habitat qui privilégient l’expérimentation, le jeu des volumes, la diversité des parcours intérieurs.

La Britten House n’est ni un prototype ni un objet de musée. C’est une maison pensée pour être habitée, mais sans jamais céder à la facilité. Roger Walker y livre une leçon de liberté architecturale, démontrant que l’on peut bousculer les normes tout en respectant les usages. Dans un monde où le logement tend souvent à l’uniformisation, cette maison continue de faire entendre une voix singulière – celle d’une architecture joyeuse, inventive, et profondément humaine.

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