Les maisons en pierre (kullë/kulla) sont dispersées dans les montagnes et villages du nord de l’Albanie. Elles ressemblent à des forteresses miniatures. Certaines ont été abandonnées et tombent en ruine. Mais d’autres sont toujours occupées et offrent un aperçu du mode de vie traditionnel de cette région.
Un peu d’histoire
Dans le temps, une Kulla représentait la puissance de l’aristocratie albanaise; tout en devenant des lieux de cachettes pour les rebelles et les bandits fuyant les autorités ottomanes ou les albanais fuyant les vendettas. Le résultat a été qu’elles sont devenues le centre d’attaque ds autorités ottomanes qui cherchaient à réprimer les révoltes albanaises. Ce fut particulièrement le cas au Kosovo, où les maisons-tour Kulla étaient construites sur un terrain bas et plus facile à attaquer; tandis que dans le nord de l’Albanie, avec le paysage montagneux, c’était difficile, voire presque impossible. Au cours des différentes attaques serbes sur le Kosovo, la Kulla était souvent attaquée pour des raisons similaires.
Les maisons-tour Kulla sont fréquentes dans toutes les zones habitées albanaises, en Bulgarie, en Serbie, au Monténégro et parmi les arvanites de la Grèce, qui ont suivi la méthode albanaise typique des maisons dispersées plutôt que celles centralisées, ce qui nous donne un indice quant à l’âge de cette culture.
Construites pour la force et le pouvoir
La construction de kullas en Albanie, ainsi que dans d’autres régions des Balkans, a commencé avec le déclin de l’Empire ottoman, en grande partie pour protéger les familles de l’anarchie qui s’en est suivie. Mais le nord de l’Albanie a également une réputation bien méritée de résistance féroce contre les Turcs, mais aussi contre les communistes et les pillards, ce qui a permis à beaucoup de personnes de préserver leurs racines catholiques et d’autres traditions. Pendant les conflits, les kullas sont parfois devenues des cibles symboliques pour les envahisseurs déterminés à briser la volonté des villages de montagne.
La construction de ces maisons fortifiées n’était pas une mince affaire et nécessitait l’embauche d’ouvriers et d’artisans non seulement de la région immédiate, mais aussi des régions environnantes ainsi que d’autres pays slaves et balkaniques. Pour cette raison, elles étaient en grande partie construites par des familles riches et de la classe moyenne et sont devenues un symbole de richesse et de pouvoir.
Le mot kullë serait dérivé du mot arabe signifiant château. Le calcaire des montagnes environnantes était le principal matériau utilisé dans les maisons de montagne, tandis que les kullas construites dans les vallées et les zones plus basses comprenaient de l’argile et du bois pour mieux absorber les secousses sismiques et empêcher les effondrements de bâtiments. De nombreuses familles riches ont ajouté des éléments tels que des murs en pierre pour donner à leur kulla un air de château. D’autres éléments, comme une saillie dans la pierre extérieure qui entourait la maison rectangulaire comme une ceinture, ont également été inclus et ont empêché les visiteurs indésirables d’escalader les murs et d’y pénétrer.
La plupart des kullas étaient construites sur trois ou quatre étages et avec des murs en pierre d’un mètre d’épaisseur, avec seulement quelques fenêtres aux niveaux supérieurs qui montaient aussi haut que possible jusqu’au plafond de la pièce pour empêcher les assaillants de savoir qui, quoi et où se trouvait quoi que ce soit à l’intérieur. À mesure que le nord devenait plus stable et que les villageois adoptaient les kullas comme résidences principales, certains ajoutaient des fenêtres plus grandes.
Les fenêtres des kullas les plus anciennes avaient tendance à être plus larges à l’extérieur et plus étroites vers l’intérieur. Cette conception permettait aux occupants de tirer sur les intrus tout en étant protégés des tirs de riposte grâce aux petites ouvertures. Les murs épais offraient aussi une isolation contre les intempéries rudes et erratiques des montagnes, gardant la maison fraîche en été et chaude en hiver.
Prestige et hospitalité
Conformément aux coutumes du kanun (anciennes lois qui régissaient tous les aspects de la vie en montagne dans le nord jusqu’au communisme), le propriétaire d’une kulla était obligé d’ouvrir sa maison à tout étranger qui se présentait à sa porte, sous peine de faire honte à sa famille et à sa communauté.
Bien que fermée de l’intérieur par un lourd verrou en métal, la porte d’entrée était l’un des éléments les plus importants d’une kulla. Les maçons sculptaient des images de la nature et des symboles de l’époque sur les côtés de l’entrée en pierre pour montrer le statut du propriétaire et son sens de l’hospitalité.
Un invité dans une kulla était immédiatement amené à l’étage, dans l’oda (le bétail était souvent gardé dans des stalles au rez-de-chaussée). Souvent, il y avait deux odas à l’intérieur d’une kulla : une pour les hommes au dernier étage et une autre pour les femmes à l’étage juste en dessous.
L’oda avait une cheminée et était considérée comme la plus belle pièce de la maison. Les premiers odas avaient des plafonds inachevés qui laissaient apparaître les poutres et le dessous des tuiles du toit, mais avec le temps, ceux-ci ont été recouverts de bois et décorés d’images sculptées.
À côté de la cheminée, des cases étaient stratégiquement creusées dans les murs épais pour contenir du café, des bouteilles et des ustensiles de cuisine. Des fourrures d’animaux recouvraient les sols jusqu’au début ou au milieu des années 1900, jusqu’à ce que les tapis tissés deviennent populaires.
Les tours fermées
Les tours fermées sont une autre forme de kullë qui captivé l’imagination. Elles étaient utilisées pour emprisonner ceux qui commettaient de graves violations des lois du kanun et pour détenir les familles prises dans le collimateur de vendettas. Une tour fermée a servi de décor à une grande partie du film de 2011 Le Pardon du sang, qui raconte l’histoire d’une famille en proie à l’isolement dans les kullë après que leur père a tué un homme lors d’une dispute concernant l’accès à la route. Ces tours étaient également le lieu où les chefs tribaux et les membres de la famille se réunissaient pour tenter de négocier des accords entre les personnes touchées par un crime et un représentant de l’accusé.
Le bâtiment le plus connu de ce type est l’emblématique tour d’isolement de Theth (aussi connue sous le nom de tour de Nikoll Koçeku) dans les montagnes maudites au nord de Shkodër. La tour appartient toujours à la famille Koçeku et les visites guidées sont accompagnées de récits de son histoire.
La situation des kullas aujourd’hui
Lorsque le communisme est tombé et que les gens ont été autorisés à se déplacer plus librement, beaucoup ont quitté leurs maisons dans les montagnes inhospitalières pour chercher une vie meilleure dans les villes. Les kullas ont été abandonnées et ont commencé à s’effondrer sous le poids de la neige et d’autres éléments naturels agressifs. Certains semblent s’intéresser à la préservation et à la réhabilitation des kullas, mais l’investissement peut être important et le plus souvent, on les laisse se détériorer, de la même manière que la vie traditionnelle des villages de montagne s’effondre lentement.