La riche histoire de Chypre, depuis l’aube de la civilisation humaine à la fin du Moyen Age, est ponctuée par des monuments importants. Mais à côté des ruines antiques de l’île et des églises byzantines se dresse son architecture autochtone, l’environnement bâti des villages historiques. Ces villages, construits pour abriter la vie et les aspirations des gens ordinaires, encapsulent l’expression matérielle, la culture, les croyances et les circonstances sociales, politiques et économiques de leurs ancêtres.
La forme et l’organisation de ces villages traditionnels dépendent de la topographie du terrain, des conditions climatiques, des matériaux disponibles et de leurs propriétés, mais aussi de facteurs socio-économiques. Ils semblent croître organiquement sur le paysage, que ce soit des montagnes escarpées, des collines arrondies ou des plaines, formant une remarquable unité entre les environnements naturels et artificiels. Les villages étaient compacts, densément construits, avec des rues étroites, de terre ou pavées réunissant les logements individuels et reliant les habitants à la terre agricole à sa périphérie. L’église était le noyau historique, un lieu de rassemblement et le centre social et économique. Les autres espaces publics étaient rares et créés le long de la route principale menant au village.
La maison rurale à Chypre
La maison rurale était construite sans suivre un plan d’ensemble, mais selon les besoins de la famille. L’organisation de la maison reflète la nature introvertie de la communauté. La cour intérieure fermée était le cœur de la maison, une salle principale et un espace de travail pour les personnes et les animaux.
Entouré par de hauts murs, elle était une composante inhérente et nécessaire de l’espace d’habitation et donnait l’accès aux différentes parties de la maison, habituellement deux ou trois makrinaria (pièces longues et étroites), cave et/ou di-chora (pièces à double espace) qui ont toujours été positionnés contre le bord de la parcelle, soit dans une forme de L ou linéaire. L’accès à la cour de la maison se faisait par une porte ou à travers un portique arqué semi-ouvert. Les pièces étaient rarement liées les unes aux autres; leurs portes n’ouvraient habituellement que sur la cour. Le dichoro était l’espace intérieur le plus important de la maison et avait de multiples fonctions: il servait de salle de séjour et de sommeil et comme espace de réception, mais il pouvait aussi servir aux animaux domestiques.
Les iliakos (pièces de soleil) étaient une autre caractéristique de la maison traditionnelle chypriote. C’était un espace semi-couvert construit pour faire face au soleil, ouvert d’un côté avec un ou plusieurs arcs consécutifs ou des poutres sur des poteaux, selon sa longueur. La iliakos fournissaient aussi l’accès aux pièces adjacentes de la maison, souvent répétés à l’étage supérieur de la maison.
Les portes et les fenêtres sont petites, peu nombreuses et proportionnées selon les qualités structurelles des matériaux de construction. Les ouvertures vers la rue étaient rares, généralement avec seulement une porte d’entrée et une arsera (petite fenêtre) au-dessus pour une bonne ventilation. Les maisons étaient toujours positionnées vers le sud ou l’est, pour absorber le plus de lumière du soleil possible.
Un deuxième étage était généralement construit lorsque le terrain était petit et ne permettait pas de grand rez de chaussée. L’accès aux pièces du deuxième étage était toujours via un extérieur en pierre ou un escalier en bois situé dans la cour contre la façade avant de la maison principale; cet escalier se terminait généralement par un petit balcon en bois couvert.
À plus haute altitude, dans les montagnes, la topographie limite l’espace disponible. Dans ce cas, une cour était rare, et les bâtiments semblent grimper plusieurs niveaux sur les pentes raides. Les différents niveaux de la maison étaient créés directement à partir de la rue à des altitudes différentes. Il y avait souvent un iliakos qui formait une sorte de véranda couverte au plus haut niveau de la maison.
La maison urbaine à Chypre
La transition du logement rural à l’urbain a commencé vers la fin du 19ème siècle, qui coïncide presque avec la fin de l’époque ottomane. Cette transition a également coïncidé avec l’émergence de la classe moyenne chypriote, le résultat d’une restructuration socio-économique qui a amené avec elle une nouvelle perception des pratiques sociales et économiques. L’architecture des maisons de Chypre commença bientôt à refléter les changements dans la société chypriote.
L’emplacement de la maison principale à l’extrémité de la parcelle est devenu désuet : la nouvelle maison urbaine devait être affichée afin qu’elle montre le statut social de son propriétaire. Ainsi, la maison chypriote a été progressivement portée vers l’avant de la parcelle, où elle bordait la rue. Le nouveau style de maison, comme dicté par la modernisation, était néoclassique.
Les pièces principales de la maison urbaine à Chypre étaient définies, organisées et construites ensemble en même temps. Le propriétaire de la classe moyenne a commencé à créer son propre espace, adapté à ses besoins. Les pièces individuelles dans une maison ont été organisées autour d’un principe qui devait devenir le noyau pour chaque unité de logement urbain. Le couloir central ou l’iliakos servaient d’entrée sur la rue, tandis qu’une ou deux pièces (makrinaria) étaient situées symétriquement de chaque côté. Si la largeur de la parcelle le permettait, l’une de ces makrinaria deviendrait un dichoro par l’inclusion d’un arc. Malgré de petits changements, les iliakos sont restés la pièce principale de la maison.
Plus tard, la symétrie stricte régissant l’aménagement de la maison est devenue plus élastique. Servant de couloir central, les iliakos ont continué à avoir les mêmes proportions suffisantes, mais l’une des pièces secondaires est devenue plus large pour accueillir des fonctions sociales et a évolué en salon, tandis que d’autres pièces sont devenues plus petites. La phase finale dans l’évolution de l’habitation urbaine a été achevée quand la maison a inclus tous ses espaces nécessaires sous un même toit et est devenue une unité autonome individuelle, située au sein d’un tissu urbain d’unités similaires.
L’intérieur de l’habitation chypriote, l’organisation tripartite de pièces a persisté, mais avec le temps cela est devenu l’objet de nombreuses modifications avec un changement notable loin de sa symétrie initiale. Une extrémité de l’iliakos pouvait être séparée en son milieu avec du vitrage, bien que souvent une véranda soit apparue à la place de l’iliakos à l’arrière de la maison. En dépit des différentes variations, l’ensemble du bâtiment a été rassemblé sous un toit en tuiles à quatre pentes.
Dans le plan de la maison symétrique, l’équilibre se reflète aussi dans sa façade, avec la porte d’entrée placée au centre et flanquée d’une fenêtre de chaque côté. Dans les cas où le bâtiment a été déplacé en retrait de la rue, un portique couvert ombragé a été placé devant l’entrée : réalisé en utilisant l’espace à l’avant de l’iliakos. En d’autres occasions un porche couvert a été construit sur toute la façade.
Avec l’introduction des nouvelles technologies, de l’industrialisation, des matériaux faciles à utiliser et une façon de vivre plus moderne, le peuple de Chypre a abandonné l’architecture traditionnelle de l’île. Les jeunes architectes, étudiant à l’étranger, sont retournés à Chypre dans les années 1950 et 1960, en amenant le modernisme avec eux. Pendant les années suivantes à l’indépendance de Chypre, le paysage urbain s’est transformé en style international moderne. Les premiers immeubles de grande hauteur sont apparus. Un grand nombre de bâtiments publics, dont des écoles, ont été construits à cette période.
L’architecture et les techniques contemporaines ont modifié l’ensemble des constructions. Après une longue période d’indifférence (lorsque l’architecture du pays était synonyme de misère rurale), l’architecture historique est de nouveau appréciée comme un élément précieux du patrimoine culturel de l’île. Aujourd’hui, grâce à un regain d’intérêt, les établissements ruraux et urbains historiques sont réhabilités et revitalisés. Le gouvernement soutient cette tendance en fournissant des aides financières pour les projets de restauration et de réhabilitation, ainsi que par l’organisation d’événements visant à rendre le public conscient de la valeur de l’architecture traditionnelle chypriote.