Dans les villages et les vieilles villes de la côte adriatique, vous croisez souvent ce mot : konoba. Il apparaît sur les façades, sur les menus, dans les conversations. Pourtant, avant de devenir le nom d’une taverne locale, la konoba était d’abord une pièce centrale de la maison traditionnelle, un espace simple, robuste, pensé pour protéger ce que la famille avait de plus précieux : nourriture, vin, huile, et outils.
Une pièce en bas de la maison, au plus près de la terre
La konoba occupe généralement le rez-de-chaussée ou un niveau légèrement enterré. La construction en pierre permettait de garder la fraîcheur en été et d’atténuer l’humidité des hivers marins. On y trouve :
- un sol en pierre brute
- des jarres
- des fûts
- des étagères épaisses taillées pour durer
- une voûte ou un plafond bas en pierre
Dans les villages de la Boka Kotorska ou le long de la côte dalmate, la konoba servait aussi à travailler : on y pressait les olives, on y entreposait les filets de pêche, on réparait l’outillage.
Une étude menée au Monténégro dans les années 1980 rappelle que, malgré le séisme de 1979, les konobe avaient généralement beaucoup mieux résisté que les étages supérieurs. Les murs plus épais, l’absence de grandes ouvertures et l’humidité maîtrisée limitaient les fissures.
Un espace à plusieurs usages
Vous pouviez y voir des fûts en bois sombre alignés contre un mur, un pressoir à côté d’un grand évier en pierre, ou une table massive où l’on triait les récoltes. La pièce n’était jamais décorée.
Dans certains villages, la konoba servait de lieu de rencontre. Les voisins s’y retrouvaient autour d’un verre de vin (produit dans la pièce même) pour discuter des récoltes ou des projets du village.
C’était une façon d’entretenir le lien social. Pas besoin de salle dédiée : quelques chaises, un fût ouvert, et la soirée pouvait commencer.
Une frontière nette entre le bas et le haut
Dans la maison traditionnelle, la konoba est un espace fonctionnel, séparé de l’étage de vie.
Le contraste est frappant :
- en bas, la pierre brute, l’odeur du vin, le bruit des outils.
- en haut, la cuisine, la pièce commune, les chambres, tournées vers la rue ou vers la mer.
La maison reflète une logique claire : le bas sert à travailler et à conserver, le haut sert à vivre.
Au passage, cette séparation avait également un avantage pratique : la fraîcheur de la konoba montait doucement dans les pièces supérieures, ce qui tempérait les chaleurs d’été.
Pourquoi la konoba a survécu au temps ?
Même si la vie moderne a transformé les pratiques agricoles et la pêche, la konoba n’a pas disparu.
Dans les vieilles maisons, elle sert encore à ranger, à accueillir des outils, à protéger des réserves alimentaires, ou simplement à garder un espace frais et stable sous la maison.
Dans certaines familles, on y conserve encore :
- le vin de l’année.
- les bocaux préparés en automne.
- les filets ou les planches.
- les sacs de pommes de terre et d’oignons.
Il y a quelque chose d’émouvant à descendre dans une konoba : vous avez l’impression que la maison respire un peu plus lentement à cet étage, comme si elle gardait sa mémoire dans ces murs épais.
Quand la konoba devient un restaurant
Dans de nombreuses villes côtières (maisons en pierre de la vieille ville de Kotor, de Perast, d’Herceg Novi, de Dubrovnik ou de Korčula) le mot konoba désigne aujourd’hui une taverne conviviale.
Ce changement n’est pas un hasard : les tavernes se sont fréquemment installées dans d’anciennes konobe. Les voûtes basses, la pierre apparente et les niches murales donnaient un cadre idéal pour accueillir les plats locaux : poisson grillé, légumes marinés, huile d’olive, vin blanc sec.
Le succès du mot tient à cette ambiance : authentique, ancrée dans le quotidien, sans aucune mise en scène inutile. Cela dit, toutes les konobe actuelles ne sont pas installées dans d’anciens espaces de stockage, mais le mot a gardé cette idée d’un lieu proche des gestes du passé.
La konoba dans les restaurations d’aujourd’hui
Les architectes qui rénovent des maisons anciennes cherchent souvent à préserver la konoba.
Les raisons sont claires :
- la pièce fait partie de la structure d’origine.
- elle aide à lire l’histoire de la maison.
- elle garde des proportions cohérentes avec le bâti ancien.
Certaines konobe sont transformées en petits ateliers, en cuisines d’été, en salons frais pour les périodes chaudes. D’autres sont presque intactes, avec leurs pierres usées et leurs traces de réparation.
À Kotor, cette pièce a retrouvé de la valeur. Les propriétaires comprennent qu’elle n’est pas qu’un sous-sol : c’est un élément clé de l’équilibre du bâtiment, un rappel du lien entre la maison et la terre.
Ce que la konoba dit de la culture adriatique
Quand vous entrez dans une konoba ancienne, vous voyez tout de suite que cet espace montre une façon d’habiter différente. Elle parle de familles qui vivaient au rythme des saisons, de métiers qui dépendaient du climat, de la mer et du sol, et d’un rapport à la nourriture bien plus direct qu’aujourd’hui.
Et même si les usages changent, la pièce garde une forme de présence. Elle tient la maison par le bas, comme une racine. C’est ce qui la rend si attachante pour les personnes qui y vivent encore.
Pourquoi elle continue à toucher les visiteurs ?
Quand un voyageur découvre une konoba traditionnelle, il ressent généralement la même chose : un espace calme, brut, sans fioritures. Ce n’est pas un décor touristique. C’est un morceau de vie ancienne qui a tenu bon. Peut-être parce que cette pièce n’a jamais cherché à faire plus que ce qu’elle devait faire : protéger ce que la famille produisait et conserver ce qui la faisait tenir jusqu’à l’année suivante.
Dans un monde où tout change vite, une konoba offre un repère stable. Elle montre comment une maison peut durer grâce à sa base, à sa simplicité et à la façon dont elle a été pensée pour le quotidien.