Khokana : village newar au Népal

Khokana se trouve au sud de Patan, dans le district de Lalitpur. C’est un village newar entouré de rizières, connu pour son huile de moutarde, ses maisons en brique et bois, et une fête locale qui réunit tout le monde : la Sikali Jatra. Vous allez voir un lieu vivant, pas un décor figé. Les ateliers fument, les enfants courent près du bassin, les ruelles étroites sentent la terre humide après la mousson.

Et oui, le séisme de 2015 a tout bousculé. Beaucoup de maisons ont dû être consolidées ou reconstruites. Une décennie plus tard, la vie a repris, avec de nouveaux chaînages et des habitudes qui s’adaptent. Les chiffres nationaux donnent l’ordre de grandeur : la plupart des logements détruits ont été rebâtis grâce à un programme porté par les habitants, appuyés par des ingénieurs et des aides publiques.

Où vous êtes ?

Le village s’étire entre un noyau dense de ruelles et des champs encore actifs. Au centre, un bassin et le temple de Rudrayani rythment les rendez-vous quotidiens. Plus loin, sur une éminence herbeuse, le temple de Sikali sert de scène à la grande procession annuelle. Cette topographie, très lisible, tient à un mode de vie ancien : circulations piétonnes, places de quartier, seuils bas, et une proximité forte.

femme à Khokana

Un plan façonné par les usages

Les ruelles (« galli ») débouchent sur des cours où l’on sèche encore du riz. Les « chowk » (petits carrefours) accueillent un autel, une pierre de serpent, un banc. Tout est pensé à hauteur d’humain. Vous passez d’un couloir sombre à une cour lumineuse, puis à un balcon en bois où pendent les gerbes. Le bassin près du temple attire l’œil : on y voit des canards, car ici, par tradition, on élève les palmipèdes plutôt que des poules. Cette singularité surprend, mais elle fait partie des règles locales.

Les maisons Newar : brique, bois et rythme des étages

Les maisons d’architecture Newar montent sur trois ou quatre niveaux. Le rez-de-chaussée reste utilitaire : stockage, atelier, parfois une pièce fraîche pour les denrées. Les étages supérieurs concentrent la vie domestique. La cuisine se trouve souvent en haut, près du toit, pour évacuer fumées et odeurs. Les façades en brique fine (« dachi appa ») jouent sur les textures. Les toits reçoivent des tuiles orange (« jhingati »). Les encadrements, poutres et appuis en bois forment une trame régulière. Les fenêtres sculptées (« jhyāl ») donnent son visage au village : grilles ajourées, frontons ornés, frises de lotus ou de jarres auspiciennes. Quand la lumière tombe en fin d’après-midi, ces volumes prennent du relief.

Le temple de Rudrayani et la Sikali Jatra

Chaque automne, le village sort l’effigie de Rudrayani. Les habitants la portent sur un palanquin jusqu’au temple de Sikali, posé au milieu d’une prairie. Des musiciens ouvrent la marche.

Quatorze personnages masqués dansent, incarnant des divinités protectrices. Le geste est précis, transmis par les guthi, ces confréries qui gèrent rites et responsabilités. Si vous arrivez ces jours-là, vous comprendrez comment une fête tient ensemble un lieu, des métiers, et des familles.

L’huile de moutarde : une mécanique lente

Khokana a bâti sa réputation sur une huile locale. Les grains séchés passent dans un système à poutre de bois. La presse grince, avance d’un demi-centimètre, puis bloque. Un homme ajuste, un autre charge. La pâte chauffe, l’huile s’écoule. Le parfum est net, un peu piquant. On remplit des bouteilles à l’étiquette jaune que l’on vend sur place. Ce cycle (semer, récolter, presser, vendre) a longtemps structuré l’économie du village. Il reste des ateliers actifs, et certains visiteurs peuvent les voir travailler.

2015 : secousse, pertes et reconstruction

Le séisme du 25 avril 2015 a frappé la vallée. Des maisons en brique ont fissuré ou plié, des linteaux ont cédé, des pans de façade se sont ouverts. Les temples, lourds de charpentes, ont souffert. À l’échelle du pays, on compte des milliers de morts et un parc bâti très touché. L’effort de reconstruction a suivi une logique claire : laisser les ménages conduire leurs travaux, tout en encadrant la sécurité. Des ingénieurs de terrain ont conseillé, contrôlé et formé. Des subventions par foyer ont permis de lancer les chantiers, avec des règles parasismiques à appliquer : bandes de chaînage, ancrages, alternance brique/bois, toitures mieux contreventées. Dix ans après, la grande majorité des logements détruits est de nouveau debout, même si des zones urbaines restent plus lentes à cause du foncier et des désaccords.

Ce que vous voyez à Khokana aujourd’hui, c’est ce mélange : façades restaurées, poutres neuves, fenêtres sculptées reprises à l’identique, et quelques murs en attente. Les artisans ont réappris à poser des ceintures sismiques discrètes dans des façades traditionnelles.

Des ouvrages patrimoniaux à Patan ont suivi la même approche, avec des chantiers fins sur des petits sanctuaires et les plates-formes à arcades (« phalcā »). La méthode a infusé jusque dans les villages.

Un patrimoine en attente d’inscription

Khokana figure sur la Liste indicative de l’UNESCO. Le dossier avance sur deux axes : le tissu villageois et la culture de l’huile de moutarde. Autrement dit, une alliance entre bâti et gestes. Cette mention ne protège pas tout ; elle signale une valeur et un besoin de soin. Pour un lecteur, c’est une information utile : vous visitez un site où le patrimoine n’est pas qu’un monument, mais un ensemble de pratiques.

Pressions modernes : routes et champs menacés

Le village est proche de Katmandou (voir notre article sur la maison traditionnelle Newar de la vallée de Katmandou). Les projets routiers, la croissance des lotissements et la spéculation pèsent sur les rizières. Autour de la Sikali, des tracés d’infrastructures ont déclenché des manifestations, car ils traversent des terres cultivées et des espaces rituels. Ces tensions racontent un enjeu concret : comment relier la capitale au sud du pays sans casser les paysages et les coutumes qui font tenir les villages ? Les débats ne sont pas clos. Ils montrent un rapport de force entre vitesse d’aménagement et mémoire des lieux.

maison newar en brique à Khokana

Ce que l’architecture dit du climat

Les maisons jouent en finesse avec la mousson et le froid sec de l’hiver. Les toits à deux pentes rejettent l’eau rapidement. Les allèges épaisses tamponnent les écarts de température. Les fenêtres ajourées font entrer l’air sans exposer l’intérieur. Les cours intérieures sèchent vite après une averse et servent de lieux polyvalents : tri des grains, ateliers, réunions. Si vous levez la tête, vous verrez un détail récurrent : de petites tuiles plates qui dessinent un damier sur les versants. Elles accrochent la lumière et font respirer le toit. Sur certaines façades, la brique de parement est si fine qu’elle ressemble à une peau tendue.

Ce vocabulaire, bien ancré dans la vallée, parle d’économie de moyens et de réparation possible : on remplace une poutre, on renforce un angle, on reprend une sablière.

Deux listes pour regarder Khokana autrement

  • Repères d’architecture à reconnaître : fenêtres sculptées (jhyāl) et oculus « œil » ; brique d’habillage très fine (dachi appa) ; toits en tuiles jhingati ; encorbellements de bois ; petits sanctuaires de carrefour ; plates-formes à arcades où l’on s’assoit.
  • Signes de la reconstruction : liserés de béton horizontaux noyés dans la brique, poteaux bois-béton bien ancrés, charpentes neuves avec contreventements, joints repris dans les angles, et parfois un pignon remplacé par une poutre neuve plus large.

Une histoire qui tient au terrain

Ce qui frappe, c’est la cohérence entre espace, matériaux et pratiques. Le bassin voisin du temple n’est pas qu’un décor : il sert à des rituels, à la vie quotidienne, et il structure les trajets. Les cours ne sont pas de simples patios : elles accueillent les tâches saisonnières et changent de fonction selon l’heure.

L’huile n’est pas qu’un produit : elle porte un calendrier, des savoirs, une économie. Et quand le sol a tremblé, cette cohérence a aidé à redémarrer. Les habitants savaient où stocker les briques, comment monter un échafaud en bambou, à quel voisin demander l’outil manquant. Le programme national a apporté des plans et des contrôles ; le village, lui, a apporté la main et la mémoire.

Et après ?

Khokana avance, entre fidélité et ajustements. La fête continue. Les presses tournent encore. Des maisons neuves s’alignent sur des parcelles anciennes. La question est claire : comment garder les rizières et les parcours rituels, tout en logeant les jeunes ménages et en améliorant les accès ? Les chantiers récents montrent qu’on peut renforcer sans défigurer. Les débats autour des grandes routes montrent, eux, que tout choix a un coût. C’est un sujet à suivre, car il touche à ce qui fait la force de ces villages : un ancrage, des gestes et des formes qui ont traversé les chocs (y compris celui de 2015).

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2 réflexions au sujet de “Khokana : village newar au Népal”

  1. Hello , j’y suis allé ce matin et le village reprend vie et panse doucement ses énormes blessures, mais on y sent toujours la puissance de l’événement.
    J’y ai fait quelques photos …
    Eric. Mai 2019

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    • Bonjour Eric, merci pour le retour. Est-il possible de voir vos photos quelque part ?

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