Khayma : la tente traditionnelle des peuples nomades du Sahara

La khayma n’est pas qu’un abri. C’est une architecture de toile et de corde, patiemment tissée par des mains expertes, pensée pour résister au vent du désert, aux brusques écarts de température, aux déplacements fréquents et à la vie collective. Utilisée depuis des siècles par divers peuples nomades d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, elle symbolise un mode de vie, un savoir-faire et une adaptation au territoire. De la Mauritanie à la Libye, en passant par le Sahara algérien, le Maroc et le désert du Sinaï, la khayma incarne une maison mobile, ancrée dans les traditions et toujours fonctionnelle.

Une tente aux multiples visages

Le terme khayma, d’origine arabe, signifie littéralement tente. Il désigne un habitat nomade dont la structure, la forme et les matériaux varient légèrement selon les régions et les ethnies.

La khaïma (version francisée) est utilisée par plusieurs peuples, dont :

  • Les Touaregs, présents dans le sud de la Libye, le Niger, l’Algérie et le Mali.
  • Les Berbères (ou Imazighen) du Maroc et de l’Algérie.
  • Les Maures de Mauritanie.
  • Les Bédouins d’Égypte, de Jordanie, d’Arabie saoudite ou encore du Sinaï.
  • Les peuples sahariens du Fezzan, en Libye.

Tous ne l’appellent pas « khayma », et certains emploient des termes spécifiques dans leur langue ou leur dialecte. Cependant, l’idée d’un habitat souple, démontable et facilement transportable est partagée. On parle ainsi de ehan ou ehanagh chez les Touaregs, de tikhayatin ou tente amazighe chez les Berbères du Haut Atlas, de rhiwa ou beit sha’ar chez les Bédouins d’Orient, ou de khaïmet en-nas en Mauritanie.

Une structure pensée pour le désert

La khayma repose sur des principes simples et pragmatiques. Sa structure est généralement constituée de poteaux en bois léger (acacia, palmier ou bois sec du désert), de cordes nouées selon des schémas précis, et d’une couverture faite à partir de poils de chèvre, de laine de mouton ou de dromadaire. Ces matériaux sont choisis pour leur robustesse, leur légèreté et leur résistance aux intempéries.

Sa forme varie selon les usages et les contraintes climatiques : certains modèles sont allongés, d’autres plus larges et bas pour limiter la prise au vent. Le toit est souvent en pente douce ou légèrement voûté, permettant à la chaleur de s’échapper tout en assurant une bonne circulation de l’air.

Les côtés peuvent rester ouverts ou être fermés par des tentures amovibles. Ce système modulaire permet d’adapter l’espace de la tente khayma selon les saisons, les besoins ou les visiteurs.

enfants devant une khayma

L’intérieur : un agencement codifié

Contrairement à ce que sa simplicité extérieure pourrait laisser penser, l’intérieur de la khayma obéit à une organisation précise. Chez les Touaregs, par exemple, les espaces sont répartis selon les fonctions :

  • Une zone pour les hommes, où l’on reçoit les invités.
  • Une partie réservée aux femmes, dédiée aux activités domestiques.
  • Un coin pour les enfants et le repos.
  • Des espaces de rangement suspendus ou posés au sol (vêtements, objets précieux et outils).

Les tapis, coussins et tentures utilisés pour délimiter les zones et décorer l’intérieur ne sont jamais choisis au hasard. Ils reflètent la culture, l’identité tribale et la maîtrise du tissage de chaque communauté.

Chez les Bédouins, la séparation des espaces intérieurs peut aussi répondre à des règles de bienséance, notamment en présence d’étrangers. On installe souvent des coussins le long des bords, et un foyer central peut servir pour le thé ou la cuisine.

La fabrication : un art qui se transmet

Les femmes sont traditionnellement responsables de la fabrication et de l’entretien des tentes. Elles tissent les bandes de tissu, appelées afilal ou azal, à partir de fibres naturelles qu’elles filent elles-mêmes. Ces bandes sont ensuite cousues ensemble pour former une grande toile qui constituera la couverture.

Ce tissage demande des mois de travail, une grande patience et une connaissance fine des matériaux. Les motifs sont sobres mais porteurs de sens, parfois marqués par des formes géométriques répétées ou des signes protecteurs. La tente, dans ce contexte, est une œuvre collective et un patrimoine unique.

Les poteaux des tentes du Sahara sont taillés à la main, généralement décorés, et choisis avec attention. Le montage de la tente suit un ordre précis, connu de tous, où chaque geste a son rôle.

Une maison mobile pour un mode de vie libre

La grande force de la khayma, c’est sa mobilité. Elle peut être démontée en une heure, chargée sur un chameau ou un 4×4, puis remontée à l’identique quelques kilomètres plus loin. Cette capacité à suivre les troupeaux ou à s’adapter aux ressources disponibles fait d’elle un symbole fort de liberté.

Chez les peuples nomades, l’habitat ne sert pas à s’ancrer, mais à accompagner. Il doit être pratique, résistant, mais aussi porteur de mémoire. La tente est donc à la fois maison, héritage, et outil.

C’est également un lieu d’accueil : dans le désert, recevoir un visiteur dans sa khayma est un acte sacré. On y partage le thé, le pain cuit sous la cendre, les nouvelles du monde. La tente devient alors un trait d’union entre l’individu, le groupe et l’extérieur. Ce geste renforce les liens et honore les traditions.

Une place dans le monde contemporain

Aujourd’hui, le mode de vie nomade recule, parfois remplacé par des habitations fixes en parpaing ou en tôle. Mais la khayma n’a pas complètement disparu. Elle reste utilisée lors de déplacements saisonniers, pour les célébrations, ou dans les campements temporaires. En Mauritanie par exemple, certaines familles conservent une khayma en plus de leur maison en dur. En Libye ou en Algérie, on continue de la monter lors de mariages, de fêtes religieuses ou de rassemblements communautaires. Elle devient aussi un support culturel, valorisé dans des musées, des festivals ou des documentaires.

Des architectes s’en inspirent pour développer des habitats éphémères, des pavillons climatiques, ou des espaces de médiation. La logique bioclimatique de la khayma (ventilation naturelle, matériaux durables, adaptabilité) séduit aujourd’hui des designers en quête de modèles sobres et intelligents.

khayma

La khayma : un fil tendu entre passé et futur

Simple en apparence, la khayma est l’aboutissement d’un long dialogue entre l’homme, la terre et le climat. Elle incarne une façon d’habiter qui refuse l’excès, valorise la mobilité, et respecte les ressources. Sous ses toiles tissées à la main se raconte l’histoire de peuples nomades, fiers de leur culture.

Comprendre la khayma, ce n’est pas regarder vers le passé, c’est aussi repenser nos choix de construction. Dans un monde qui interroge la durabilité du béton, l’empreinte des bâtiments et la résilience face au climat, elle nous montre qu’on peut construire autrement. Avec moins. Avec mieux.

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