Les huttes Dorzé : une architecture organique au cœur de l’Éthiopie

Nichées dans les montagnes de l’Éthiopie méridionale, les huttes du peuple Dorzé attirent par leur silhouette singulière, leur structure végétale imposante et leur remarquable durabilité. Construites à partir de matériaux locaux et selon un savoir-faire transmis de génération en génération, ces habitations offrent un exemple concret d’architecture vernaculaire parfaitement adaptée à son environnement.

Les Dorzés sont un petit groupe ethnique en Éthiopie. Avec une population d’environ 28 000, ils vivent principalement dans la région sud du pays, bien que certains aient migré vers Addis-Abeba et d’autres régions. Beaucoup de Dorzés vivent dans des villages près des villes de Chencha et Arba Minch.

Une architecture adaptée au relief et au climat

Les Dorzé vivent dans la région de Chencha, à plus de 2500 mètres d’altitude. Le climat y est frais, humide et parfois brumeux. Ces conditions influencent le choix des matériaux et la forme des constructions.

Les huttes dorzé sont bâties sans fondation maçonnée, directement posées sur un sol légèrement surélevé pour éviter les infiltrations. Leur structure imposante, en forme d’arche ou de tête d’éléphant, atteint jusqu’à 10 à 12 mètres de hauteur lors de leur édification initiale. Cette verticalité permet à l’air chaud de circuler et de s’évacuer par le haut, favorisant une régulation naturelle de la température.

La forme arquée, sans angles saillants, offre également une excellente résistance au vent et facilite l’écoulement de l’eau de pluie sur l’enveloppe extérieure, faite de fibres végétales.

huttes Dorzé

Des matériaux locaux, durables et bien agencés

La structure porteuse repose sur un assemblage de tiges de bambou disposées en arceaux. Ces arceaux sont reliés entre eux à l’aide de ligatures végétales, sans clous ni pièces métalliques. Une fois la charpente montée, elle est recouverte de larges feuilles de faux bananier (ensete), une plante endémique d’Éthiopie aux propriétés imperméables et isolantes. Ces huttes peuvent durer de 60 à 80 ans.

Traditionnellement, les bambous qui sont utilisés comme cadres pour les huttes Dorzé sont coupés pendant le clair de lune. Pour l’isolation, le toit de la hutte est en chaume.

Les feuilles sont superposées selon un motif légèrement en écaille, garantissant une étanchéité optimale tout en laissant respirer l’ensemble de l’habitation. Cette couverture naturelle est renouvelée régulièrement, ce qui prolonge la vie de la hutte sans nécessiter d’interventions lourdes.

Ce système de construction a un double avantage : il est biodégradable et permet une maintenance aisée. En cas de dégradation de la base (souvent due aux termites ou à l’humidité du sol) la hutte peut être soulevée et déplacée sur quelques mètres, ce qui prolonge son usage de plusieurs années.

Au fil du temps lorsque les termites détruisent le bas des huttes, après avoir enlevé la partie pourrie, toute la structure peut être soulevée et déplacée dans un endroit différent. Cette pratique explique pourquoi la cabane est d’abord construite si haute. Plus la hutte est petite, plus elle est ancienne.

Un espace intérieur modulé selon les usages

À l’intérieur, la hutte dorzé est organisée autour d’un foyer central. L’espace est divisé par des cloisons souples faites de tissus, de nattes ou de panneaux végétaux. Chaque zone a une fonction : repos, cuisine, rangement, et parfois espace pour les animaux domestiques la nuit, notamment les chèvres.

La hauteur sous plafond et la forme en dôme créent une acoustique particulière et une sensation de volume surprenante pour une habitation en matériaux souples. La lumière entre par de petites ouvertures en hauteur, créant une ambiance feutrée mais suffisante pour les activités domestiques.

Certains foyers dorzé incluent également une plateforme surélevée utilisée pour faire sécher les aliments ou stocker les réserves. Le foyer, en plus de chauffer la pièce, participe également à la conservation des denrées et des différents aliments par la fumée et la chaleur constante.

intérieur d'une hutte Dorzé

Une construction collective, transmise oralement

La construction d’une hutte dorzé mobilise toute la communauté. Il ne s’agit pas d’un projet individuel mais d’un acte social, souvent lié à un mariage ou à une naissance. Les savoirs ne sont pas codifiés dans des plans, mais transmis oralement et pratiquement, par l’observation et l’imitation.

Chaque artisan ou chef de chantier connaît les gestes, les dimensions à respecter, le nombre d’arceaux, l’ordre des opérations. Les enfants participent tôt, en aidant à préparer les matériaux ou en tressant les premiers liens. Le tissage est une profession pour beaucoup de Dorzés. Ils sont aussi agriculteurs et empêchent l’érosion des sols avec un terrassement ingénieux de la montagne. Autour des huttes, ils ont un petit jardin avec des légumes, des épices, mais aussi du tabac et de la banane Ensete Maurelii.

Le chantier de construction suit un rythme propre à la communauté : sans précipitation, mais avec rigueur et assurance. Cela renforce les liens sociaux tout en valorisant les savoir-faire locaux.

construction d'une hutte Dorzé

Une architecture en constante évolution

Même si la forme générale des huttes est stable, leur évolution est visible dans les détails. L’introduction de bâches plastiques en complément des feuilles d’ensete, ou l’utilisation de fenêtres en bois pour plus de luminosité, en sont des exemples. Certains habitants choisissent également de juxtaposer des volumes supplémentaires ou de construire des annexes, toujours en matériaux végétaux, pour s’adapter aux changements de composition familiale ou aux besoins nouveaux.

Cette capacité d’évolution est rendue possible par la souplesse du matériau et la facilité d’intervention. Une hutte peut être modifiée en quelques jours, sans outillage spécifique.

Une esthétique unique, reflet d’une identité

Au-delà de leur aspect fonctionnel, les huttes dorzé marquent les esprits par leur silhouette spectaculaire. La forme arrondie et élancée, presque animale, est parfois interprétée comme une évocation de la trompe d’un éléphant : une image renforcée par les petites ouvertures qui évoquent des yeux.

La taille des huttes, leur régularité, la qualité des finitions sont autant de signes de statut et de savoir-faire. Les familles les plus anciennes ou les plus respectées entretiennent des huttes particulièrement grandes, preuve d’un entretien régulier et d’une bonne organisation domestique.

hutte Dorzé

Un exemple d’architecture climatique

Les huttes dorzé remplissent de nombreux critères contemporains de l’architecture dite « durable » : sobriété des matériaux, adaptabilité au climat, recyclabilité, faible coût énergétique à la construction.

Elles ne nécessitent ni béton, ni électricité, ni importation de matériaux. Tout est issu de l’environnement immédiat. Le faux bananier, par exemple, est utilisé à la fois pour la couverture, l’alimentation (la pulpe sert à faire une sorte de pain fermenté), et comme élément de décoration.

Ce modèle inspire aujourd’hui certains architectes en quête de solutions vernaculaires pour construire de manière responsable, sans sacrifier le confort ni la beauté des formes.

huttes Dorzé

Préserver un patrimoine architectural unique

Face à l’urbanisation croissante, au développement du béton et à la standardisation des habitats, les huttes dorzé sont hélas menacées. Pourtant, elles continuent d’incarner un mode de vie profondément en phase avec son environnement. Des initiatives locales encouragent leur préservation, notamment via l’écotourisme. Certaines familles accueillent désormais des visiteurs pour leur faire découvrir cette architecture unique, sa construction, sa symbolique et son fonctionnement au quotidien.

Ces démarches permettent de valoriser les artisans, de transmettre les gestes aux jeunes, et de montrer qu’un habitat traditionnel peut s’inscrire dans la modernité sans en copier les modèles industriels.

Les huttes du peuple Dorzé témoignent d’une intelligence constructive fondée sur l’expérience, l’écoute du climat et l’usage raisonné des ressources. En observant ces structures légères et pourtant durables, on redécouvre une forme d’architecture à échelle humaine, fondée sur la coopération et la simplicité. Un modèle dont notre époque, en quête de sobriété et d’harmonie, aurait tout à gagner à s’inspirer

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