Les ghorfas de Médenine, dans le sud de la Tunisie, sont un exemple remarquable d’architecture vernaculaire. Ces structures, utilisées autrefois comme greniers collectifs, sont caractéristiques des ksour (pluriel de ksar), des complexes fortifiés qui servaient de lieux de stockage pour les tribus nomades berbères. Les ghorfas sont organisées en rangées superposées et se présentent sous la forme de voûtes semi-cylindriques, parfois empilées sur plusieurs étages. Elles servaient à entreposer des denrées comme les céréales, les olives et les produits laitiers. Leurs murs massifs en terre crue et en pierres locales, ainsi que leur ventilation naturelle, les rendaient adaptées au climat aride du sud tunisien.
Contexte historique et fonction économique
Historiquement, Médenine était un centre commercial majeur dans la région du Jeffara, en lien avec les tribus nomades des zones désertiques environnantes. Les ksour étaient des lieux stratégiques, abritant à la fois les richesses agricoles et les échanges commerciaux. Chaque communauté avait ses propres ghorfas dans ces ksour, et celles-ci ne communiquaient pas entre elles, garantissant ainsi la confidentialité des marchandises stockées. Cette organisation permettait également de sécuriser les biens, car en temps de guerre ou de crise, les ksour pouvaient devenir des forteresses quasi imprenables.
Voir le Ksar Ouled Soltane en Tunisie pour en savoir plus sur les ksour !
Les ghorfas de Médenine ont joué un rôle clé dans l’économie régionale, surtout avant l’occupation coloniale française. Elles servaient de centres d’approvisionnement et de redistribution pour des produits venant de toute l’Afrique du Nord et même de régions aussi éloignées que le Sahel. Leur position stratégique en faisait un carrefour pour les échanges commerciaux, en particulier pour les tribus amazighes qui faisaient transiter leurs marchandises via ce réseau dense de greniers.
Techniques de construction
La construction des ghorfas repose sur des techniques locales adaptées aux ressources et aux contraintes climatiques de la région. Les matériaux utilisés sont la terre crue, le gypse et les pierres locales. La voûte en berceau, l’élément principal de ces structures, est un système qui permet une solidité structurelle et une régulation thermique. Les murs épais et la forme en arc aident à maintenir une température stable à l’intérieur, protégeant ainsi les denrées contre la chaleur du désert et les variations saisonnières.
La technique de construction consiste à ériger deux murets parallèles, entre lesquels des sacs remplis de grains sont placés pour servir de coffrage temporaire. Une natte recouvre ces sacs, suivie d’une couche d’argile et de gypse qui vient sceller la voûte. Une fois l’argile durcie, les sacs sont retirés, laissant place à un espace intérieur voûté opérationnel pour stocker toutes les denrées alimentaires.
Transformation et réappropriation
L’utilisation traditionnelle des ghorfas comme greniers collectifs a progressivement disparu au cours du 20ème siècle, avec les bouleversements économiques et sociaux de la région. Dès les années 1980, bon nombre de ces structures ont été converties en ateliers ou en habitations. Le tourisme, qui a pris de l’ampleur dans les années 1990, a redéfini l’usage de ces espaces. De nombreuses ghorfas situées au rez-de-chaussée ont été transformées en boutiques, vendant des produits artisanaux aux visiteurs.
Mais cette transformation n’a pas toujours été favorable à la conservation des ksour et ghorfas. L’impact du tourisme a souvent conduit à des modifications importantes de ces structures, ce qui a altéré leur fonction originelle et leur esthétique. Bien que certains ksour aient été restaurés et mis en valeur pour attirer les touristes, beaucoup de ghorfas ont été abandonnées ou démolies au profit de constructions modernes. Ce phénomène reflète les tensions entre préservation et développement économique.
Une architecture en déclin ?
La question de la préservation des ghorfas de Médenine reste complexe. Si elles représentent un patrimoine unique de l’architecture vernaculaire de la Tunisie, leur utilité contemporaine est souvent remise en question. Leurs fonctions d’origine étant devenues obsolètes avec les évolutions agricoles et logistiques modernes, la viabilité de leur conservation repose désormais sur leur réinvention pour des usages contemporains, notamment à travers le tourisme culturel. Le défi reste de maintenir l’équilibre entre la valorisation touristique et la préservation de l’authenticité de ces édifices.
Ainsi, les ghorfas de Médenine sont un témoignage d’une organisation sociale et économique propre aux tribus berbères du Sud tunisien. Leur architecture, alliant fonctionnalité et adaptation à l’environnement aride, en fait un exemple unique du génie vernaculaire dans cette région. Toutefois, leur avenir dépendra en grande partie de la capacité à conjuguer mémoire historique et développement économique dans une région où la modernité cohabite difficilement avec les traditions anciennes.