À Garmisch-Partenkirchen, vous voyez d’abord la montagne. Puis, très vite, les maisons. Des toits profonds, des balcons en bois, des façades peintes. La ville a un visage clair : celui du pays de Werdenfels, au sud de la Bavière. Vous êtes dans une station alpine, oui, mais surtout dans un lieu où la culture constructive a gardé le dessus. Ici, on bâtit pour tenir la neige, protéger les murs, et faire entrer la lumière d’hiver. Rien d’exotique : du bon sens, des savoir-faire, et une façon de composer avec le climat.
Vous le sentez en marchant. Une rue qui tourne, un pignon qui accroche la vue, un porche qui vous fait passer de l’ombre au soleil. Cette sobriété calculée donne une ville très lisible.
Une ville double : deux caractères, une même logique
Garmisch et Partenkirchen formaient autrefois deux localités distinctes. L’une plus tournée vers les prairies et les hôtels de villégiature, l’autre alignée le long d’un axe ancien, avec des parcelles profondes et des maisons serrées. Ce dualisme se voit encore. À Garmisch, vous circulez dans un tissu un peu plus ouvert ; à Partenkirchen, vous suivez des façades continues, souvent à arcades basses. Mais la grammaire constructive est la même : grandes toitures à deux pans, débords généreux, socles minéraux, étages en enduit ou en bois, et cette peinture murale qui raconte la vie locale.
Prenez cela comme deux dialectes d’une même langue. Vous pouvez passer de l’un à l’autre en quelques minutes, sans perdre le fil. Les différences tiennent surtout au tracé des rues et à la densité des façades. Mais les matériaux, les volumes et les couleurs parlent le même langage.
La maison du Werdenfels : une silhouette qui tient la neige
La maison traditionnelle du Werdenfels (le territoire autour de Garmisch-Partenkirchen, Mittenwald, Farchant ou Grainau, dans les Alpes bavaroises) suit une règle simple : protéger. Le toit déborde largement pour couvrir la façade, le balcon et parfois une galerie. Les pignons regardent la rue, comme des visages. Les étages s’organisent autour d’un volume compact, ce qui réduit les pertes de chaleur. Il y a souvent un rez-de-chaussée sur soubassement minéral (moellons calcaires ou granite selon la vallée) et, au-dessus, des niveaux enduits à la chaux. Le bois entre en scène aux balcons, à la charpente, aux volets.
Le balcon n’est pas qu’un décor. Il sèche les draps, stocke du bois, abrite une chaise longue en été. Les garde-corps sculptés filtrent la lumière et rythment la façade. Cette fonction explique leur largeur, la profondeur des solives et la présence de liens obliques sous les plateaux. Rien n’est gratuit.
Façades peintes : la Lüftlmalerei sans mystère
Vous rencontrerez souvent des façades peintes. On les appelle Lüftlmalerei dans toute la région. La technique utilise des enduits à la chaux et des pigments minéraux.
Les peintres composent des encadrements de fenêtres, des pilastres, des faux reliefs, des rubans, parfois des scènes religieuses ou des métiers alpins. Le jeu consiste à feindre l’architecture : on crée une niche, un entablement, une moulure qui n’existe pas, mais que l’œil accepte.
C’est un outil de façade, qui agrandit une baie trop petite, donne du poids à un soubassement, ou met au calme un grand pan de mur. Elle vieillit aussi. Vous verrez des reprises, des zones plus fraîches, des parties patinées. Ce vieillissement fait partie du charme de la rue. Et il explique l’entretien régulier : les enduits respirants acceptent mal les films plastiques, on revient donc aux badigeons à la chaux.
Toits, bois et climat : une réponse sans emphase
Les toitures sont amples et nettes. Le pas de charpente est large, porté par des pannes et des contrefiches. Les débords protègent le pied d’enduit, qui craint l’eau battante. Les chevrons restent visibles sous l’avant-toit ; c’est un signe de franchise constructive. Sur les versants, tuiles plates ou bardeaux selon les bâtiments et les époques. En vallée, la tuile domine. Plus haut, le bois a longtemps été privilégié, avant que l’on généralise des couvertures plus lisibles pour l’entretien.
Le bois, vous le verrez partout. Sapin, épicéa, mélèze selon l’altitude et la disponibilité. Les sections sont généreuses, non pour l’esthétique, mais pour la neige. Une charpente sous-dimensionnée plie ; ici, on préfère des pièces franches et un assemblage costaud. L’hiver dicte la section des poteaux.
De la villégiature à la scène sportive
Au tournant des XIXe et XXe siècles, la villégiature alpine a apporté des pensions, des villas et des hôtels de cure. Les architectes ont composé avec la grammaire locale : pignons, galeries, avant-toits, mais aussi bow-windows et vérandas. Le style suisse a laissé des traces dans les grands chalets à charpentes apparentes. Ces influences se sont mêlées sans effacer l’ancrage bavarois.
Ensuite, les grandes fêtes d’hiver ont favorisé la création de nouveaux équipements : patinoires, tremplins, bâtiments publics. La modernité n’a pas effacé l’ADN local. Les volumes sont encore lisibles, les hauteurs maîtrisées, la toiture garde sa pente franche. Aujourd’hui encore, le règlement urbain encadre les matériaux, les hauteurs et les proportions. On construit contemporain, mais on reste dans le même registre formel : volumes compacts, toits à deux pentes, façades claires, menuiseries en bois.
Ce cadre n’empêche pas l’invention. Des maisons récentes travaillent le plein et le vide avec une grande retenue : grands châssis vers la prairie, façade rue plus mesurée, garde-corps ajourés qui renvoient à la tradition sans la copier. Elles ajoutent une touche contemporaine sans rompre l’équilibre.
Églises et bâtiments publics
Les églises locales affichent souvent un dôme à bulbe sur le clocher, un plan régulier, des élévations enduites. À l’intérieur, stucs et autels baroques ou rococo dans certaines paroisses, mais l’extérieur reste sobre : le volume prime, l’ornement se concentre aux encadrements et aux horloges.
Les écoles, mairies et musées prennent place dans d’anciennes maisons élargies ou dans des édifices du début du XXe siècle, où la brique porte l’enduit et où la toiture affirme le gabarit. Vous obtenez une ville faite de repères : un clocher qui dépasse, une place, un alignement de façades en ligne continue.
Matières, couleurs, détails à repérer
Vous remarquerez vite une palette stable : blanc cassé, ocre pâle, vert forêt pour les volets, brun chaud pour les bois. Cette palette n’est pas décorative au hasard. Elle répond aux matières en présence : chaux, pigments minéraux, essences locales. Elle tient aussi bien sous la neige que sous l’orage d’été.
Quelques détails méritent votre œil :
- Les seuils en pierre légèrement saillants : ils protègent l’enduit bas.
- Les descentes d’eaux pluviales ramenées en façade arrière : la rue reste propre et sèche.
- Les jambages peints qui élargissent la fenêtre : une astuce très utilisée.
- Les portes à panneaux pleins, souvent avec imposte vitrée : lumière dans l’entrée, intimité en bas.
- Les garde-corps sculptés : géométries simples répétées, sans surenchère.
Votre balade d’observation : une heure bien remplie
Commencez par le tissu ancien de Partenkirchen. Marchez le long de l’axe historique : façades continues, toits qui se répondent, arcades basses. Regardez les soubassements : beaucoup portent la mémoire des crues et du déneigement. Poursuivez vers un quartier résidentiel proche des prairies : volumes plus espacés, jardins, vues ouvertes sur la montagne. Terminez par une rue commerçante de Garmisch : vous y verrez l’adaptation du vocabulaire local à des vitrines, avec des auvents bien intégrés, des enseignes en ferronnerie, et des rythmes de travées qui évitent le patchwork.
Prenez des photos de détails : le pied d’un balcon, l’assemblage d’un chevron sous l’avant-toit, la façon dont l’enduit rejoint la pierre du soubassement. Ces images vous aideront à lire d’autres villes alpines ensuite. Vous verrez que le même langage se décline ailleurs, avec des accents différents.
Anecdotes et usages : ce que disent les façades
Il se dit que les balcons étaient dimensionnés pour sécher le linge et dérouler une couverture au soleil d’automne. Cela explique certaines largeurs généreuses. Autre usage : les bancs en pierre ou en bois devant la maison. Ils prolongent l’entrée et servent de seuil habité. En été, on y converse, en hiver on y tape la neige des chaussures. Rien d’ostentatoire, mais un signe : la rue est un espace partagé.
Les peintures murales parlent aussi : métiers de montagne, scènes de vie, motifs végétaux. Elles ne cherchent pas l’effet musée. Elles donnent une cadence, comme une bande dessinée à hauteur d’œil.
Ce que la ville apprend à un architecte… et à vous
Garmisch-Partenkirchen montre qu’une ville peut évoluer sans perdre son langage. La montagne impose des contraintes claires : neige, eau, vent, soleil bas. L’architecture répond sans discours : protection, compacité, matériaux justes. Cette rigueur ne bride pas. Elle guide. Quand on construit, on reprend la toiture franche, les débords utiles, les façades enduites qui respirent, la menuiserie en bois qui vieillit bien. Quand on rénove, on garde les proportions, on respecte la matière, on répare plutôt que remplacer.
Et pour une visite attentive, voici un petit fil rouge à garder en tête :
- Suivez les toits : leur pente raconte le climat.
- Lisez les soubassements : ils disent l’eau et la neige.
- Observez les ouvertures : leurs cadres peints corrigent l’échelle.
- Regardez les balcons : structure et usage vont ensemble.
- Cherchez la continuité de rue : c’est elle qui donne la douceur de la promenade.
- Levez les yeux vers les pignons : la ville se donne là, dans ces façades-visages.
Une architecture bavaroise, au présent
Vous pourriez résumer Garmisch-Partenkirchen à une image : une grande toiture posée sur un volume compact, avec un balcon qui regarde la prairie et une façade peinte qui dialogue avec la rue. Cette image tient encore aujourd’hui. La station a évolué ; l’économie a changé ; l’échelle des équipements s’est agrandie. Pourtant, le cœur du langage demeure : l’enduit minéral, le bois, la neige comme maître d’ouvrage silencieux, et des rues qui préfèrent la continuité à la démonstration.
Si vous aimez l’architecture, vous y trouverez une leçon utile : quand la technique épouse le climat et les usages, la forme trouve sa justesse. Et si vous venez sans carnet de croquis, ce n’est pas grave. Marchez, regardez les toits, mesurez les débords de vos yeux, comparez deux fenêtres voisines. Vous verrez : cette ville apprend beaucoup quand on la regarde lentement. Et si vous revenez un autre jour, avec une lumière différente, vous noterez encore autre chose. C’est tout l’intérêt d’un langage simple, tenu dans le temps, et appliqué sans emphase. Cette constance fait de la ville un lieu qui se lit autant qu’il se vit.