Imaginez une région où le temps s’est arrêté. À Chypre, le long de la ligne verte, des maisons désertées et des voitures oubliées semblent attendre un retour qui n’arrivera jamais. C’est une zone suspendue entre deux mondes, une frontière qui raconte l’histoire d’un pays divisé, figé dans le passé. Mais qu’est-ce que cette ligne verte exactement ? Plus qu’une simple démarcation, elle est le témoin silencieux de la lutte politique et militaire qui a marqué l’île, transformant des quartiers entiers en vestiges fantomatiques.
Qu’est-ce que la ligne verte ?
Si vous regardez une carte de Chypre, il y a une ligne qui traverse l’île comme une cicatrice. C’est la zone tampon, une zone de non-droit contrôlée par l’ONU, aussi appelée la « Ligne verte ». Cette zone est un rappel constant que le pays reste physiquement et symboliquement divisé.*
La zone est un produit de l’histoire mouvementée de Chypre. Lorsque l’île est devenue indépendante de la Grande-Bretagne en 1960, la tension a explosé entre les communautés chypriotes grecques et turques, s’évaporant dans des conflits politiques et la violence en 1963. Ensuite, les premières troupes de maintien de la paix ont été envoyées dans la capitale et ont efficacement géré la zone.
La situation a dégénéré en 1974, lorsque la Garde nationale chypriote, qui a favorisé l’union avec la Grèce, a organisé un coup d’état et la Turquie a répondu par une action militaire. L’île a été laissé scindée en deux le long de la ligne de cessez-le-feu, et elle l’est encore aujourd’hui.
La zone tampon fait quelques 180 kilomètres de longueur, et elle est contrôlée par les Casques bleus des Nations Unies. Selon cette force de l’ONU, la Ligne verte fait près de sept kilomètres et demi de large à son point le plus large, et prend environ trois pour cent de l’île de Chypre.
La zone tampon est plus visible à Nicosie, où il est fréquent de voir des routes bloquées par des murs de béton, des tonneaux et des barbelés. En dehors des zones bâties, la Ligne verte semble plus symbolique. Elle est contrôlée par des checkpoints et des tours de guet, mais n’est pas marquée par un grand mur ou une clôture. Parfois les routes sont bloquées et des villes abandonnés parsèment la route.
Les bâtiments désertés de la zone tampon
Cela peut être un endroit frustrant car la photographie n’est pas permise dans ou le long de la Ligne verte, et il faut obtenir une autorisation et être accompagné par un observateur de l’ONU pour entrer.
La zone tampon dans le vieux Nicosie est une oasis de calme surréaliste. Des maisons envahies et des magasins abandonnés sont à l’abandon le long de la route et on peut à peine y entendre des sons.
Une description de la zone est qu’elle est « figée dans le temps ». Beaucoup de maisons portent les cicatrices de la guerre : des trous de balles, des fortifications de sacs de sable reflétant le conflit.
Beaucoup de magasins donnent l’impression que les propriétaires seront de retour dans quelques minutes. Comme dans cet ancien restaurant où des bouteilles sont restées en place.
Certains des plus célèbres résidents de la ligne verte sont des Toyota importées stockés dans un garage. Elles ont été amenées du Japon, mais les combats ont éclaté avant qu’elles ne soient vendues. Sales et rouillées, certaines ont encore leurs autocollants d’importation et seulement 32 miles au compteur.
De même, plus loin dans la ville, l’ancien aéroport international de Nicosie ressemble plus à une scène d’un film d’horreur post-apocalyptique qu’à un terminal de voyage. Un avion de passagers de Cyprus Airways se tient toujours à l’extérieur, il ne volera plus jamais. Selon la Force de maintien de la paix des Nations Unies, ses moteurs ont été dépouillés en 1974 pour permettre à un autre avion de voler.
Le parc d’attraction Tivoli : un lieu abandonné
Dans la zone tampon de Nicosie, un autre vestige insolite reste coincé entre deux époques : le parc d’attraction Tivoli à Nicosie. Jadis un lieu de rires et de jeux pour les familles, ce parc abandonné est devenu une image poignante de la vie chypriote, figée à jamais. Les manèges rouillés, les cabines de jeux vides et les pistes de karting poussiéreuses racontent une autre histoire de division.
Avant le conflit, Tivoli était un symbole de plaisir et d’insouciance. Le week-end, les enfants venaient y passer leurs journées, grimpant dans les autos-tamponneuses. Aujourd’hui, le silence qui règne contraste avec cette atmosphère joyeuse. Les attractions sont rouillées, couvertes de poussière, et les stands de friandises sont laissés à l’abandon, comme si tout le monde avait soudainement quitté les lieux.
Ce parc est désormais un lieu fantomatique, une relique du passé chypriote. Comme beaucoup d’endroits dans la zone tampon, Tivoli semble attendre un avenir incertain. Pour ceux qui se souviennent de ses heures de gloire, il incarne la douleur de la séparation, mais aussi un espoir ténu de réconciliation.
Varosha : le quartier fantôme de Famagouste
Si l’on parle des lieux abandonnés à Chypre, il est impossible de ne pas mentionner Varosha, ce quartier autrefois prospère de Famagouste, figé dans le temps depuis 1974. Avant l’invasion turque, Varosha était une destination touristique prisée, avec ses hôtels, ses plages et ses boutiques. C’était la « Riviera » de Chypre, où célébrités et visiteurs fortunés se côtoyaient dans une ambiance glamour.
Cependant, lorsque les forces turques ont avancé dans la région, les habitants ont dû fuir en urgence, abandonnant tout derrière eux. Depuis, le quartier est désert, interdit d’accès, comme un vestige d’un passé interrompu. Les bâtiments, envahis par la végétation, montrent les signes d’un lent déclin : fenêtres brisées, murs fissurés et structures s’effondrant sous le poids du temps. Les hôtels qui accueillaient autrefois des vacanciers sont aujourd’hui des carcasses vides, rongées par l’abandon.
Varosha est aujourd’hui une zone sous contrôle militaire, inaccessible au public, un symbole puissant de la division de l’île. Pourtant, en 2020, la Turquie a pris la décision controversée d’ouvrir partiellement le quartier au public, permettant à certains visiteurs de parcourir ses rues désertes. Pour beaucoup, ce geste a ravivé des souvenirs douloureux et renforcé les tensions politiques autour de la situation chypriote.
Varosha est un endroit où le passé semble omniprésent. Les mannequins restent figés dans les vitrines des boutiques, des voitures abandonnées parsèment les rues, et les hôtels, jadis remplis de vie, sont désormais des squelettes silencieux. Ce quartier fantôme est non seulement une curiosité pour les historiens et les photographes, mais aussi un témoignage poignant des conflits qui continuent de diviser l’île. Varosha incarne le paradoxe d’une beauté désolée, mêlant nostalgie et tristesse, un souvenir douloureux pour les Chypriotes qui espèrent, un jour, voir cette partie de l’île réunie à nouveau.
L’avenir de la zone tampon
Il y a des lueurs d’espoir pour que l’île soit un jour réconciliée. Le village de Pyla se trouve effectivement dans la zone tampon et ses habitants sont un mélange de Chypriotes greques et turcs. Le petit village montre encore des signes de division, cependant, avec des écoles séparées et un café chypriote grecque face à un café chypriote turque sur la place du village. Le village a un maire chypriote grecque et un adjoint au maire chypriote turc, qui effectuent leur travail dans la zone contrôlée de l’ONU. Les deux sont soucieux de démontrer que Pyla pourrait être un modèle pour le reste de l’île.
Simos Mytides, le maire chypriote grecque a dit : « Il est très facile pour Chypre de se réunir. Voyez comment évolue Pyla depuis 40 ans. Il n’y a aucun problème sérieux et les communautés vivent en paix. Ils jouent aux cartes et au backgammon ensemble et se marient aussi ». Il a admis, cependant, qu’il y avait des tensions dans la communauté, en partie causées par les crises économiques à Chypre et en Grèce.
En dépit de ces problèmes, Nejdet Enver, l’adjoint au maire chypriote turc reste optimiste pour l’île : « Nous devons faire confiance à la prochaine génération pour vivre en paix ».