Baruk : une architecture Bidayuh traditionnelle et spirituelle

Au cœur des collines de Bornéo, dans l’État malaisien du Sarawak, subsiste une forme architecturale singulière : le baruk. Ce bâtiment circulaire, au toit conique et aux fondations surélevées, incarne l’héritage spirituel et social des Bidayuh, l’un des groupes autochtones majeurs de la région. Le baruk est un symbole communautaire, un espace cérémoniel, et le témoin ancestral de traditions séculaires.

Une structure circulaire chargée de sens

Le baruk se distingue immédiatement par sa forme ronde et son toit en chaume, évoquant une hutte massive. Construit en hauteur sur pilotis, il peut atteindre jusqu’à 1,50 mètre du sol. Cette élévation protège l’intérieur des inondations, des animaux sauvages et favorise une meilleure ventilation. Elle confère aussi au bâtiment une certaine majesté, renforçant sa fonction centrale dans le village.

L’absence d’angles droits n’est pas un hasard. Les Bidayuh considèrent que les formes circulaires favorisent la cohésion, l’égalité et la continuité. Dans un monde où tout est lié, le cercle représente l’unité du clan. En son centre, une grande pièce unique sans cloison invite à la rencontre, à la parole, aux rituels.

antrée d'un baruk

Fonctions traditionnelles du baruk

Historiquement, le baruk remplissait plusieurs fonctions dans la vie communautaire des Bidayuh :

  • Lieu de rassemblement des anciens pour la prise de décisions importantes.
  • Centre de formation des jeunes hommes aux traditions, chants, danses et récits oraux.
  • Salle de cérémonies pour les rites agricoles ou les fêtes communautaires.
  • Poste d’observation ou de défense, en particulier dans les villages perchés.
  • Dépôt de trophées de guerre, y compris les crânes conservés après les raids, pratiques aujourd’hui révolues mais fortement ancrées dans l’histoire de ce peuple.

Chaque village Bidayuh possédait traditionnellement son propre baruk, réservé uniquement aux hommes, bien que certaines cérémonies aient pu inclure les femmes. Sa présence marquait l’identité du groupe. Un village sans baruk était autrefois considéré comme incomplet.

Matériaux et techniques de construction

La construction du baruk repose sur des matériaux issus de la forêt tropicale environnante. Les savoir-faire sont transmis oralement, de génération en génération. Aucun plan n’est tracé sur papier.

Le bâtiment repose sur une structure en bois dur (belian, bambou ou teck), posée sur des pilotis ancrés dans la terre. Le plancher est tissé à partir de tiges de rotin ou de bambou fendues. Les murs, eux aussi en bambou tressé, laissent passer l’air tout en filtrant la lumière. Quant au toit conique, il est recouvert de feuilles de palmier ou de chaume, régulièrement entretenu pour préserver son étanchéité.

Cette architecture sans clou repose sur des assemblages en tenon-mortaise et des liens en fibres végétales. Elle témoigne d’un savoir-faire adapté à l’environnement équatorial : résistance à l’humidité, ventilation naturelle, matériaux renouvelables et faible impact sur le sol.

Baruk et spiritualité

Chez les Bidayuh, l’espace architectural est profondément lié aux croyances animistes. Le baruk est bien plus qu’un bâtiment : il est un lieu sacré où résident les esprits des ancêtres et les forces invisibles. Son orientation, sa forme, et les rituels liés à sa construction obéissent à des prescriptions précises. Par exemple, un aîné doit toujours bénir les matériaux avant leur utilisation.

Les cérémonies qui s’y déroulent rythment le calendrier agricole : récolte du riz, débuts des semailles, demande de pluie ou remerciements à la forêt. Le baruk devient alors un théâtre vivant de chants polyphoniques, de danses rituelles et de musiques jouées sur des gongs et tambours.

baruk traditionnel Bidayuh

Une architecture menacée

Aujourd’hui, le mode de vie des Bidayuh évolue. L’exode rural, la scolarisation, et les modes de construction modernes modifient les pratiques. Le baruk traditionnel a peu à peu laissé place à des structures en béton, plus durables, mais déconnectées de leur ancrage symbolique.

Certaines communautés Bidayuh ont tenté d’en conserver l’usage dans un cadre culturel. Le village d’Annah Rais, non loin de Kuching, a restauré son baruk pour le partager avec les visiteurs par exemple. Le lieu reste vivant, mais il devient également un objet touristique. Ce paradoxe soulève une question : comment préserver la fonction vivante d’un patrimoine sans le figer dans le folklore ?

Transmettre sans figer

Préserver les baruk, ce n’est pas uniquement les restaurer. C’est aussi accompagner les jeunes Bidayuh dans la réappropriation de leur culture. Certains architectes locaux collaborent aujourd’hui avec les communautés pour concevoir des baruk hybrides, mêlant matériaux modernes et formes traditionnelles. L’objectif : répondre aux besoins contemporains sans renier l’héritage ancestral.

Dans cette démarche, il faut sensibiliser les jeunes générations à l’histoire de leur habitat, aux techniques de construction, et à la richesse de leur patrimoine oral, pour redonner au baruk sa place centrale.

baruk

Ce que nous enseigne le baruk

Pour un œil européen, le baruk peut sembler lointain. Pourtant, il offre des leçons sur l’architecture :

  • La forme circulaire comme outil de cohésion sociale.
  • L’utilisation de ressources locales pour une construction durable.
  • L’intégration d’une dimension symbolique et spirituelle dans le bâti.
  • La modularité de l’espace, sans cloison, pensée pour évoluer avec les besoins.

Face aux défis contemporains (urbanisation galopante, crises écologiques, perte de lien social) le baruk n’apparaît pas comme une relique du passé, mais comme une source d’inspiration. Son équilibre entre fonction, symbolisme et respect de l’environnement offre un modèle d’architecture à taille humaine.

Le baruk, maison commune des Bidayuh, incarne une relation profonde entre l’homme, son habitat et la nature. Il rappelle que bâtir ne consiste pas uniquement à empiler des matériaux, mais à créer du lien. En ces temps où l’uniformisation menace les architectures vernaculaires, redécouvrir des formes comme celle-ci, c’est reconnaître qu’habiter peut aussi être un acte de mémoire, de respect et d’avenir.

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