Le barajeel est une innovation architecturale issue des régions du Golfe persique et d’autres parties du Moyen-Orient, développée pour remédier à l’ardeur du climat désertique. Aujourd’hui, cette structure traditionnelle connaît un regain d’intérêt, car elle offre une alternative écologique et efficace aux systèmes de climatisation modernes, tout en s’inscrivant dans une quête de solutions durables.
Historique et origine
Le barajeel trouve ses origines dans l’architecture perse et arabe. Il remonte à des siècles, bien avant l’introduction des climatiseurs électriques, mais son adoption dans le Golfe persique, en particulier dans des zones comme l’Arabie et les Émirats arabes unis, est attestée dès les années 1900. Dans un climat aussi extrême, où la chaleur dépasse régulièrement les 40 degrés en été, les anciens habitants des régions désertiques ont dû innover pour rendre leurs espaces de vie plus confortables.
À l’origine, ce sont les Bédouins qui utilisaient des tours à vent dans leurs huttes appelées Arish, souvent fabriquées à partir de feuilles de palmier tressées. Le barajeel pouvait abaisser la température intérieure jusqu’à 20° de moins que celle de l’extérieur, rendant l’environnement vivable.
Avec la modernisation et la prolifération des climatisations électriques, ces tours ont été peu à peu abandonnées. Cependant, face à la montée des préoccupations environnementales et énergétiques, elles sont redécouvertes comme une alternative beaucoup plus écologique pour ces pays.
Étymologie
Le terme barajeel (ou barjil) provient de l’arabe, où il désigne les tours à vent traditionnelles utilisées pour capter les brises et ventiler naturellement les bâtiments dans les régions arides du Moyen-Orient et du Golfe persique. Le mot arabe barajeel est souvent traduit par « tour à vent » ou « attrape-vent » en français, en référence à sa fonction principale de refroidissement passif. En plus de l’arabe, certaines variations orthographiques comme barjil peuvent être utilisées dans différentes régions ou dialectes pour désigner cette même structure, bien que le concept et la fonction restent les mêmes.
Dans les régions de l’Iran, la tour à vent est appelée badgir (بادگیر en persan), qui signifie « attrape-vent ». Le mot persan bad signifie « vent » et gir se traduit par « attrapeur » ou « capteur ». Ce terme met l’accent sur la fonction du dispositif, qui consiste à capturer les brises pour rafraîchir les espaces intérieurs. Ainsi, les différentes terminologies (barajeel, barjil, et badgir) soulignent toutes cette technique pour la gestion du climat dans les régions à forte chaleur, chacune enracinée sa culture locale.
Fonctionnement et principe du barajeel
Le fonctionnement du barajeel repose sur le principe de la refroidissement passif, une méthode qui consiste à abaisser la température d’un espace sans avoir recours à des dispositifs électriques ou à une consommation d’énergie externe. Ce type de refroidissement est efficace dans les climats secs et chauds, tels que ceux de la région du Golfe, car il utilise les mouvements naturels de l’air pour ventiler.
Le Barajeel comme « attrape-vent »
La tour à vent est souvent désignée comme un « attrape-vent », car elle capte les brises rapides et fraîches passant par le sommet de la structure, les amenant dans l’habitation. Son mécanisme repose sur la physique de base de l’air chaud et de l’air froid : l’air chaud a tendance à monter, tandis que l’air froid descend. Le barajeel est conçu de manière à exploiter ces dynamiques naturelles.
Le haut de la tour est percé de plusieurs ouvertures, orientées de manière à capter les vents dominants. Lorsque l’air chaud pénètre dans la tour, il est refroidi en passant par les espaces plus frais de la structure. Cet air, une fois rafraîchi, descend à travers la tour et se diffuse dans les pièces inférieures, rendant l’espace plus agréable. Cette technique permet de réduire la température intérieure des maisons.
Modernisation et revitalisation du barajeel
Au fil du temps, les villes modernes comme Dubaï et Abu Dhabi ont vu une renaissance des barajeels, souvent intégrés à des projets architecturaux visant à réduire la consommation énergétique des bâtiments. À Masdar City, une ville modèle construite à Abu Dhabi, un barajeel de 45 mètres de haut a été érigé pour servir de système de ventilation naturel. Contrairement aux tours à vent traditionnelles, ce barajeel n’est pas directement intégré dans les habitations, mais se dresse en plein air pour capter et canaliser les vents vers les niveaux inférieurs de la ville, où il aide à rafraîchir les zones publiques.
Les ingénieurs modernes voient dans cette technologie ancienne une solution à certains des défis énergétiques d’aujourd’hui. Les pays du Golfe sont parmi les plus grands consommateurs d’énergie au monde, notamment en raison de la dépendance massive aux climatiseurs. En réintroduisant des solutions comme le barajeel, les urbanistes espèrent réduire ces dépenses énergétiques.
Avantages du refroidissement passif
Le barajeel est l’un des nombreux exemples de méthodes de refroidissement passif. Cette approche présente plusieurs avantages par rapport aux technologies modernes :
- Réduction de la consommation d’énergie : les climatiseurs modernes consomment énormément d’électricité, ce qui est problématique dans les régions chaudes où ils fonctionnent en continu pendant plusieurs mois. Le refroidissement passif, en revanche, utilise des processus naturels, sans recourir à une alimentation électrique, ce qui permet de réaliser d’importantes économies.
- Impact environnemental moindre : la production d’électricité repose encore majoritairement sur des combustibles fossiles dans de nombreuses régions du monde. En réduisant la dépendance aux appareils de climatisation, le barajeel contribue à diminuer les émissions de gaz à effet de serre.
- Durabilité et faible coût : une fois installé, un barajeel nécessite peu d’entretien par rapport aux systèmes modernes de clim. De plus, sa construction est relativement simple, ce qui en fait une solution économique pour les habitations dans des zones où les ressources sont limitées.
- Conception adaptable : les tours à vent peuvent être intégrées dans différents types de bâtiments, qu’il s’agisse de maisons, de bâtiments commerciaux ou de structures publiques.
Les défis du barajeel
Malgré ses nombreux avantages, l’utilisation du barajeel présente certains défis qui limitent son efficacité dans certaines conditions. Bien que cette structure soit très efficace dans des climats secs, elle fonctionne moins bien dans des environnements à forte humidité. L’air humide ne se refroidit pas aussi facilement, ce qui réduit considérablement l’efficacité de la tour à vent dans ces régions. Par conséquent, dans les climats humides, l’utilisation du barajeel n’offre pas les mêmes avantages que dans les zones désertiques.
Pour que le barajeel fonctionne de manière optimale, il est aussi nécessaire d’avoir un flux constant de vent. Dans les régions où les brises sont irrégulières ou peu fréquentes, la tour à vent peut ne pas être aussi performante. Cela signifie que l’efficacité du barajeel dépend des conditions climatiques locales.
Enfin, l’intégration d’une telle structure dans l’architecture d’un bâtiment n’est pas toujours simple. Tous les bâtiments ne peuvent pas facilement accueillir une tour à vent, ce qui nécessite une planification architecturale réfléchie dès la phase de conception. Adapter une tour à vent à des constructions modernes ou préexistantes peut parfois poser des problèmes techniques ou esthétiques.
Répartition des barajeels dans le monde arabe et perse
Les barajeels, ou tours à vent, se trouvent principalement dans plusieurs pays du Moyen-Orient et du Golfe persique, où ils sont utilisés depuis des siècles pour rafraîchir les habitations et les bâtiments dans les régions au climat aride et chaud. Voici quelques pays où l’on trouve des barajeels :
- Émirats arabes unis : les barajeels sont répandus dans des zones historiques comme Al Fahidi, à Dubaï, et dans d’autres vieilles parties de la ville. Ils sont aussi intégrés dans des projets modernes comme Masdar City à Abu Dhabi avec la grande tour dont nous avons parlée.
- Oman : les tours à vent peuvent être trouvées dans les anciennes villes comme Nizwa et Muscat, où elles faisaient partie des maisons traditionnelles et des bâtiments publics.
- Bahreïn : à Bahreïn, les barajeels étaient traditionnellement utilisés dans les habitations pour atténuer les effets de la chaleur, tout comme dans les autres pays du Golfe.
- Qatar : dans des régions comme Doha, des versions modernisées de ces tours à vent peuvent être observées, souvent intégrées dans des projets architecturaux récents.
- Iran : en Iran, les tours à vent sont appelées badgirs et sont couramment utilisées dans les villes désertiques comme Yazd, connue pour ses badgirs emblématiques. C’est d’ailleurs en Iran que les premières versions de ces tours à vent sont apparues.
- Arabie Saoudite : dans les régions côtières comme Jeddah, les barajeels faisaient partie de l’architecture traditionnelle des maisons, où ils captaient les vents venant de la mer Rouge.
- Koweït : dans les zones historiques de Koweït, on peut encore trouver des traces de cette technique de refroidissement traditionnelle dans l’architecture locale.
- Égypte : bien que moins courantes que dans le Golfe et en Iran, certaines régions d’Égypte, notamment en Haute-Égypte, ont utilisé des versions similaires de tours à vent.
Dans tous ces pays, l’utilisation de barajeels témoigne de l’ingéniosité des habitants pour s’adapter au climat aride, en utilisant des solutions passives et naturelles bien avant l’ère de la climatisation moderne.
Conclusion
Le barajeel est le symbole d’une époque où les communautés locales ont su tirer parti des éléments naturels pour répondre à leurs besoins en matière de confort. Aujourd’hui, avec l’augmentation de la demande énergétique et la crise environnementale mondiale, ces solutions sont redécouvertes et modernisées pour répondre aux besoins contemporains. Le barajeel, avec son refroidissement passif, rappelle l’ingéniosité humaine et les solutions durables dans la gestion des ressources naturelles.
Son retour en force dans les grandes villes du Golfe, et plus particulièrement dans des projets comme Masdar City, témoigne de la pertinence de ces méthodes anciennes dans la quête d’un avenir plus durable et éco-responsable. Au-delà de son efficacité énergétique, le barajeel nous enseigne une leçon : il est parfois nécessaire de regarder vers le passé pour trouver des solutions innovantes pour l’avenir.
Un excellent exemple de cette préservation du patrimoine architectural traditionnel peut être dans les maisons traditionnelles de Muharraq, au Bahreïn, où de nombreuses bâtisses sont encore équipées de badgirs (ou barajeels). Ces maisons, symboles de l’héritage historique de la ville, montrent comment ces dispositifs anciens étaient intégrés dans la vie quotidienne pour assurer un confort thermique dans un environnement aride. Le quartier historique de Muharraq, qui a été restauré et protégé en tant que patrimoine mondial, conserve ces tours à vent, rappelant ainsi les techniques passées dans la conception durable et le respect de l’environnement. Ces maisons traditionnelles sont aujourd’hui une source d’inspiration pour l’architecture contemporaine qui cherche à équilibrer innovation et durabilité.