L’architecture balnéaire est née du désir d’évasion, du plaisir des bains de mer, et d’un besoin très concret : habiter autrement le littoral. À la croisée du confort, du pittoresque et de l’innovation, elle dessine depuis le XIXᵉ siècle un paysage urbain unique, riche de fantaisie et de contrastes. Villas cossues, cabines de plage, bâtiments modernistes ou chalets régionaux, ce style a su se réinventer à chaque époque. Voici un tour d’horizon de cette architecture qui mêle plaisir de vivre, goût du beau et adaptation au rivage.
Une invention du XIXᵉ siècle
L’histoire de l’architecture balnéaire est indissociable de celle des stations de bord de mer. Au XVIIIᵉ siècle, on commence à fréquenter la mer pour ses vertus thérapeutiques. Mais c’est au XIXᵉ siècle, avec le chemin de fer, que les côtes se peuplent de vacanciers venus chercher les bienfaits de l’eau salée.
Les premières stations naissent en Angleterre, à Brighton, puis en France à Dieppe, Biarritz ou Trouville. Les élites y construisent des résidences temporaires : des villas de villégiature. Ces demeures sont différentes des maisons citadines. Elles s’ouvrent sur l’extérieur, se parent de détails ornementaux inspirés de l’exotisme, du Moyen Âge, de la Renaissance ou encore de l’architecture alpine. Elles ne suivent aucune règle stricte. L’éclectisme est leur force. Leur but est également d’impressionner !
Peu à peu, cette architecture se codifie. Les villes côtières se dotent de plans d’urbanisme, de promenades aménagées, de casinos, de marchés couverts. Le développement de ces équipements encourage l’installation de familles aisées, qui souhaitent profiter d’un certain art de vivre… face à la mer.

Un style avant tout expressif
L’architecture balnéaire n’a pas pour vocation d’être discrète. Elle cherche à séduire, surprendre, divertir. Elle joue avec les volumes, les couleurs, les textures. Elle n’impose pas un modèle unique, mais multiplie les formes pour affirmer la singularité de chaque villa. On y retrouve fréquemment :
- Des bow-windows ou loggias pour capter la lumière ;
- Des vérandas ou galeries vitrées tournées vers le soleil ;
- Des toitures à pans multiples, en ardoise ou tuiles, parfois débordantes ;
- Des décors inspirés des colombages normands, des chalets suisses ou des haciendas espagnoles ;
- Des matériaux variés : pierre, bois, céramique, briques vernissées, métal ajouré…
Cette profusion est une réponse à l’esprit des lieux. En bord de mer, on vient pour rêver, respirer, se sentir ailleurs. L’architecture épouse donc cette attente des riches propriétaires.


Trois grands styles de villa balnéaire
S’il existe une grande variété de formes, trois typologies reviennent souvent dans les stations françaises.
Le chalet
Directement inspiré des chalets de montagne, ce type de maison est introduit dans les stations thermales avant de gagner les rivages. Il est reconnaissable à ses pans de toiture très inclinés, ses balcons en bois découpé, ses consoles sculptées. On en trouve beaucoup dans les stations normandes ou vendéennes.
Le cottage
Plus anglo-saxon, le cottage balnéaire est généralement bas, en briques ou en pierre, avec des façades asymétriques et des toits à faible pente. Il évoque la campagne anglaise autant que le confort bourgeois. Ce style s’est imposé à Dinard, Royan, Arcachon ou Le Touquet.
Le castel
Souvent imposant, le castel adopte une architecture néo-médiévale ou néo-Renaissance. Tours d’angle, créneaux, arcs en ogive, lucarnes sculptées : tout est pensé pour affirmer un prestige, un imaginaire noble. Ces constructions sont fréquentes dans les premières stations à la mode (Biarritz ou Étretat).

Le régionalisme balnéaire : un folklore recomposé
Dès les années 1920, un nouveau courant émerge : le régionalisme. L’idée est d’adapter l’architecture au “génie du lieu”. En clair, on va construire des maisons balnéaires qui ressemblent à celles de l’arrière-pays. Sur la Côte basque, on voit fleurir des villas à pans rouges et murs blancs ; en Bretagne, on privilégie l’ardoise et la pierre granitique ; sur la Méditerranée, les maisons s’inspirent des bastides ou des mas.
Mais ce régionalisme est généralement fantasmé. Il ne s’agit pas de reproduire fidèlement les modèles locaux, mais d’en donner une version beaucoup plus stylisée. Les villas sont spécialement conçues pour des vacanciers aisés, avec tout le confort moderne. Ce style rassurant, teinté de pittoresque, correspond aux attentes d’une clientèle bourgeoise en quête d’enracinement et d’authenticité.
L’après-guerre : modernité, lumière et béton
La Seconde Guerre mondiale marque une rupture dans l’architecture balnéaire. De nombreuses stations sont détruites ou endommagées. Lorsqu’il faut reconstruire, notamment à Royan, Saint-Nazaire ou Le Havre, la modernité s’impose. Le passé cède la place à des formes audacieuses et fonctionnelles.
Les architectes s’inspirent de Le Corbusier, du Mouvement moderne et même de l’architecture brésilienne d’Oscar Niemeyer. Le béton devient un matériau noble. Les villas se hissent sur pilotis, les toits se font plats, les ouvertures s’élargissent, les volumes deviennent géométriques. La mer entre dans la maison.
C’est une période audacieuse. Les maisons se dessinent en boomerangs, en T ou en U. Les lignes sont nettes, les matériaux bruts, les couleurs assumées. La villa balnéaire n’est plus seulement un lieu de retraite, c’est un manifeste architectural. Chaque façade affirme une vision moderne de l’habitat.


Une évolution continue jusqu’à aujourd’hui
Depuis les années 1980, l’architecture balnéaire a poursuivi sa mue. Les nouvelles constructions cherchent à s’intégrer sans copier les styles anciens. Les architectes jouent avec les codes (terrasses en saillie, bardages bois, toitures en pente douce) tout en répondant aux normes contemporaines : isolation, ventilation, durabilité. La villa balnéaire devient plus compacte, plus discrète, mais reste fidèle à son esprit d’origine : lumière, vue, ouverture. Elle intègre désormais des préoccupations écologiques.
Dans certaines stations, des opérations de rénovation redonnent vie à des quartiers anciens. On restaure les façades en respectant les enduits d’époque, on remplace les huisseries dans les règles de l’art, on réinterprète les motifs historiques dans une écriture contemporaine.
Une architecture aujourd’hui reconnue… et à préserver
Longtemps négligée, l’architecture balnéaire est désormais mieux protégée. De nombreuses villas sont inscrites ou classées aux Monuments historiques. Certaines stations (Royan, Dinard, Arcachon, Trouville) ont obtenu des labels de “Ville d’art et d’histoire” ou intégré des zones de protection du patrimoine.
Des associations militent également pour sauvegarder ce patrimoine fragile, souvent menacé par la pression foncière, l’érosion littorale ou les rénovations maladroites. Car une villa balnéaire n’est pas une maison comme une autre. Elle porte une mémoire. Elle raconte une époque où la mer était encore un luxe ou vue comme une cure, où l’on pensait la maison comme un décor de vacances.
Préserver ce patrimoine, c’est maintenir une culture de l’habitat liée au paysage, à la lumière, à l’éphémère. C’est aussi transmettre une manière de construire joyeuse, libre et ouverte à l’invention.

Conclusion sur l’architecture balnéaire
L’architecture balnéaire ne se résume pas à une série de villas de bord de mer. C’est un art de bâtir qui dialogue avec la nature, les saisons et l’imaginaire. Née du plaisir de la villégiature, elle a traversé les modes, les guerres et les bouleversements sociaux. Elle a su absorber les influences, du chalet savoyard à la villa tropicale ou brésilienne, du castel néo-gothique au pavillon minimaliste.
Aujourd’hui encore, elle inspire. Elle rappelle que l’architecture peut être légère et sérieuse, utile et poétique, locale et universelle. Une maison face à l’océan n’est jamais tout à fait ordinaire.