Almaty au XIXe siècle : maisons de marchands et exubérance néo-russe

À l’époque où Almaty portait encore le nom de Verny, la ville était un carrefour d’échanges, de cultures et de formes architecturales. Située au pied des montagnes du Tian Shan, elle se développe rapidement à la fin du XIXe siècle, attirant commerçants, fonctionnaires, colons russes et artisans kazakhs.

Cette croissance urbaine donne naissance à un patrimoine architectural singulier, mêlant rigueur classique et fantaisie décorative. Deux types de bâtiments en témoignent encore aujourd’hui : les maisons de marchands et les édifices commerciaux de style néo-russe. Faisons le point sur cette architecture.

Une ville façonnée par le commerce

Après son intégration à l’Empire russe en 1854, Verny devient une place stratégique pour les échanges entre la steppe, la Sibérie et l’Asie centrale. Le commerce s’organise, les marchés se structurent, les fortunes naissent. Dans ce contexte, les marchands font bâtir des maisons spacieuses qui reflètent leur réussite économique. De leur côté, les édifices commerciaux s’ornent de façades spectaculaires.

Almaty n’est plus un camp militaire ni une bourgade de colons : elle devient une ville en construction, avec ses rues orthogonales, ses bâtiments publics, ses écoles, ses échoppes et ses maisons bourgeoises.

maison de marchand du 19ème à Amalty

Les maisons de marchands : influences classiques

Ces maisons constituent une part importante de l’héritage architectural vernaculaire d’Almaty. Construites entre les années 1870 et 1910, elles sont reconnaissables à leur structure basse, leur toiture à deux pans, leurs façades enduites et peintes, souvent dans des tons doux comme le bleu pastel. Les moulures, les encadrements de fenêtres et les colonnes sont inspirés du néoclassicisme russe.

Les ouvertures sont généralement hautes et étroites, équipées de doubles fenêtres pour l’isolation. À l’intérieur, on trouve de grandes pièces, parfois chauffées au poêle, organisées autour d’un vestibule central. Ces maisons sont conçues pour durer, sans ostentation excessive, mais avec une recherche de confort, de stabilité et de respectabilité. Elles abritaient des familles kazakhes ou russes ayant réussi dans le commerce de textiles, de céréales, de bétail ou de produits artisanaux. Ce sont des maisons d’identité urbaine, construites dans un style hybride entre tradition locale et modèle impérial.

maison de marchand almaty
Ancienne maison de marchand avec des ornements floraux en stuc, elle a été construite au début du 20ème siècle sur ordre de Titus Golovizin – maître cordonnier de Verny

La Maison des tissus Kyzyl Tang : exubérance néo-russe

Face à la discrétion des maisons de marchands, certains bâtiments commerciaux, comme la Maison des tissus Kyzyl Tang, adoptent une toute autre stratégie : séduire par l’apparence. Ce bâtiment remarquable du centre d’Almaty date lui aussi du XIXe siècle. Il se distingue par son style néo-russe flamboyant, typique des constructions publiques et marchandes de la fin de l’époque tsariste.

Avec ses pignons colorés, ses toitures vertes pointues, ses ornements en bois découpé, ses frises festonnées et ses cheminées en forme de tourelles, le bâtiment attire autant l’œil que la curiosité. Ce n’est pas un hasard : il s’agissait d’un magasin textile destiné à une clientèle aisée. La façade devenait un outil de marketing visuel, reflétant à la fois le prestige du commerce et la modernité de la ville.

L’influence architecturale est ici multiple : formes folkloriques russes, détails décoratifs inspirés des isbas de Sibérie, teintes vives et symétrie ostentatoire. Ce style, très répandu dans les villes de l’Empire (notamment à Tomsk, Kazan, Nijni Novgorod), marque une volonté de créer une identité visuelle forte.

Maison des tissus Kyzyl Tang

Deux visages complémentaires de Verny

Ces deux types de bâtiments (la maison de marchand et l’édifice commercial néo-russe) incarnent deux stratégies sociales et urbaines distinctes, mais parfaitement contemporaines.

La maison de marchand est le reflet d’une réussite privée, intime, contrôlée. Son architecture rassure, affirme la respectabilité du propriétaire sans démesure.

Le bâtiment commercial, lui, se veut public, visible, spectaculaire. Il raconte l’ambition d’une ville tournée vers le commerce, la circulation des biens et des styles, l’ouverture à la diversité.

Tous deux participent à un même élan : celui d’un Kazakhstan urbain en construction, où les formes traditionnelles rencontrent les codes impériaux pour créer un langage architectural propre à Verny.

ancienne maison de marchand à Amlaty

Un patrimoine rare à préserver

Aujourd’hui, ces bâtiments sont menacés. Beaucoup de maisons de marchands ont été détruites, d’autres transformées au point de perdre leur caractère. Les bâtiments néo-russes ont parfois été négligés ou masqués par des rénovations maladroites. Pourtant, ils racontent l’histoire visuelle d’une ville.

Les conserver, les restaurer, les documenter, c’est protéger la mémoire d’Almaty avant la modernité soviétique. Ce patrimoine urbain, longtemps négligé, mérite aujourd’hui une attention nouvelle.

À Almaty, les maisons de marchands et les bâtiments de style néo-russe sont deux expressions d’un même mouvement historique : la montée d’une ville kazakhe urbaine, active, plurielle. Leur architecture révèle des modes de vie, des valeurs, une époque. Entre retenue bourgeoise et exubérance décorative, ces bâtiments racontent comment une ville de steppe est devenue un pôle urbain moderne.

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