Il existe, niché dans les replis arides des monts Hajar, un village abandonné dont les murs tiennent encore tête au temps. Wadi Habib, oublié des cartes modernes, semble figé dans une pause longue, suspendue entre l’effondrement et la mémoire. Si l’endroit attire d’abord par son atmosphère mystérieuse, il mérite surtout d’être vu tel un témoignage de l’architecture vernaculaire du sud-est de la péninsule Arabique.
Une implantation guidée par la nature
Avant de parler de murs, parlons du sol. Le village s’élève à flanc de montagne, sur une terrasse naturelle dominant un oued asséché une bonne partie de l’année. Cette position stratégique répondait à plusieurs impératifs. D’abord la sécurité : perché sur un éperon rocheux, Wadi Habib permettait d’observer les environs et d’éviter les crues soudaines. Ensuite, la fraîcheur : l’orientation et l’implantation protègent les habitations du soleil écrasant. Enfin, la proximité des ressources : même dans un paysage minéral, des cultures en contrebas profitaient des eaux de ruissellement captées par des canaux traditionnels, les aflaj.
Une architecture de survie
Ici, rien n’est décoratif. Chaque élément a un but précis. Les maisons sont bâties en pierres sèches, assemblées avec minutie sans mortier, parfois consolidées à l’argile. L’épaisseur des murs, souvent supérieure à 50 cm, assure une excellente régulation thermique. Le jour, la chaleur reste dehors. La nuit, la fraîcheur est retenue. C’est une leçon de bioclimatisme bien avant l’heure.
La toiture est un autre exemple d’adaptation : des troncs de palmiers disposés à plat, recouverts de branchages et de terre, créent un isolant naturel. Ce système, courant dans les villages anciens d’Oman et des Émirats (voir les maisons traditionnelles en pierre des montagnes d’Oman), s’est transmis de génération en génération. Peu coûteux, simple à réparer, il est cependant vulnérable à l’humidité prolongée : une faiblesse qui explique en partie la dégradation visible sur les vestiges actuels.

Une organisation sociale inscrite dans les murs
Le plan du village n’est pas le fruit du hasard. On y décèle une organisation de clan, voire familiale. Les habitations de Wadi Habib sont regroupées par unités, autour de petites cours intérieures. Ces dernières servaient autant à la cuisine qu’à l’artisanat ou au repos à l’ombre. Elles permettaient aussi de limiter les échanges directs avec l’extérieur, dans le respect de l’intimité et des usages locaux.
Le chemin principal du village maintenant déserté serpente entre les blocs bâtis, épousant la pente naturelle. Il est parfois couvert de voûtes légères reliant deux maisons, formant des passages ombragés. Ces solutions, observées aussi dans d’autres villages de la région comme Misfat al Abriyeen ou Al Hamra, montrent une compréhension fine du climat et une grande économie de moyens.
Éléments défensifs et dissuasion passive
Dans ce type de village, les conflits n’étaient pas rares. Wadi Habib, sans être une forteresse, adopte pourtant des principes défensifs. Certaines maisons ont des ouvertures réduites, voire inexistantes côté aval. Les accès sont étroits, facilement contrôlables. L’effet de promiscuité et les hauteurs inégales permettent de se défendre avec des moyens limités. On note aussi l’usage de meurtrières et de fenêtres à double encadrement, conçues pour limiter l’entrée de la lumière mais aussi ralentir une intrusion.

Une disparition silencieuse
Le déclin de Wadi Habib n’a pas vraiment eu de témoin. Comme pour beaucoup d’autres villages de montagne dans le Golfe, la modernisation rapide du milieu du XXe siècle a précipité l’exode rural. Routes asphaltées, constructions modernes climatisées, services de base… Les habitants ont logiquement rejoint des villes comme Nizwa, Al Ain ou Mascate, laissant leurs maisons se déliter lentement. Certains reviennent parfois, pour les fêtes religieuses ou les enterrements. Mais le cœur ne bat plus.
Pourquoi s’intéresser à Wadi Habib aujourd’hui ?
Parce que ces ruines parlent. Elles enseignent une manière d’habiter, de construire, de s’adapter sans détruire. Dans un monde dominé par le béton et la climatisation, Wadi Habib rappelle que l’on peut vivre confortablement dans des conditions extrêmes avec des matériaux locaux, sans artifice.
Pour l’architecte, c’est un cas d’école. Pour le décorateur, une source d’inspiration : les teintes sable, les ombres dessinées par les niches, la patine du temps. Pour le designer, un manifeste du fonctionnel. Pour l’artisan, une démonstration de savoir-faire ancestral à préserver. Et pour le conseiller immobilier ? Un patrimoine menacé qui pourrait devenir, demain, un site d’écotourisme ou d’hébergement alternatif si la restauration respecte l’authenticité des lieux. Et pourquoi pas après tout ?!

Comment restaurer sans trahir les lieux ?
Tout projet de réhabilitation doit poser une question : restaurer pour quoi ? Pour qui ? Un village comme Wadi Habib ne se prête pas à une occupation permanente moderne. Mais il pourrait accueillir des visiteurs de passage, des chercheurs, des artistes ou des randonneurs. À condition de ne pas dénaturer.
Voici quelques pistes à considérer :
- Stabiliser les structures : sans chercher à reconstruire à l’identique, il est possible de consolider les murs avec des techniques discrètes (liants à base de chaux, insertion de tirants invisibles).
- Réhabiliter les toitures : en respectant les matériaux d’origine (palmier, branchage, terre crue), on peut retrouver le profil original des maisons.
- Aménager avec sobriété : pas question d’introduire du PVC ou des baies vitrées. On peut intégrer des ouvertures vitrées à l’intérieur même des niches, créer des planchers bois minimalistes, et utiliser un éclairage solaire discret dans tout le village de Wadi Habib.
- Mettre en valeur le paysage : la force de Wadi Habib vient aussi de son écrin naturel. Un sentier balisé, un point de vue aménagé en pierre sèche, quelques panneaux explicatifs en bois brut suffisent à créer une expérience mémorable sans tomber dans le folklore.

Un lieu pour repenser l’habitat
Wadi Habib n’est pas un décor figé. C’est un laboratoire à ciel ouvert. Il oblige à réfléchir sur les matériaux durables, les choix constructifs adaptés au climat, la gestion passive de l’énergie, ou encore la relation entre habitat et territoire. Les architectes contemporains auraient intérêt à s’en inspirer. Non pour copier, mais pour intégrer certaines logiques : compacité des volumes, utilisation des ressources disponibles, respect du site. Dans une période où l’on cherche à réduire les émissions de carbone dans le bâtiment, les leçons d’un village abandonné méritent toute notre attention.
Wadi Habib est peut-être déserté, mais ses murs murmurent encore des idées brillantes à qui veut bien les écouter. Que vous soyez curieux, professionnel du bâtiment ou amateur d’histoire, ce village vous tend ses pierres comme autant d’indices d’un avenir plus sobre et réfléchi.