Au cœur de l’oasis de Siwa, à l’extrême ouest de l’Égypte, subsiste un patrimoine bâti unique, fruit d’un savoir-faire adapté à un environnement aride. Les maisons traditionnelles de Siwa incarnent une architecture vernaculaire sobre et ingénieuse, forgée par des siècles d’expérimentations face aux contraintes du climat désertique, de la disponibilité des matériaux et des modes de vie locaux. Leur étude permet de saisir la capacité d’une communauté à créer des habitats sobres, confortables et résilients.
Un matériau fondateur : la kershef
La spécificité architecturale de Siwa repose sur l’utilisation d’un matériau local appelé kershef. Ce mélange de blocs de sel gemme extraits des lacs voisins, liés par de la boue argileuse, constitue la matière première de l’habitat traditionnel. Cette ressource présente de multiples avantages :
- Elle se trouve en abondance dans la région
- Son coût est faible
- Elle possède d’excellentes qualités thermiques
Les blocs de kershef sont moulés puis laissés à sécher au soleil avant d’être intégrés dans la construction. Leur assemblage, réalisé sans coffrage complexe, permet une mise en œuvre rapide et adaptée au climat extrême de l’oasis de Siwa. Ce matériau est également recyclable : lors de la ruine d’un bâtiment, la kershef est récupérée pour être réutilisée dans une nouvelle construction.


Morphologie des habitations
Les maisons traditionnelles de Siwa présentent un plan compact, souvent de forme rectangulaire ou carrée, généralement organisées sur deux ou trois niveaux. L’épaisseur importante des murs (parfois jusqu’à 80 cm) assure une régulation thermique optimale :
- La fraîcheur est maintenue à l’intérieur pendant les journées torrides
- Les variations de température sont amorties entre le jour et la nuit
L’organisation intérieure est pragmatique :
- Le rez-de-chaussée est dévolu au stockage des vivres, à l’abri de la chaleur
- L’étage supérieur abrite les espaces de vie familiale
- Le toit-terrasse sert d’espace de repos nocturne pendant la saison chaude
Cette disposition favorise l’intimité tout en assurant une protection contre les vents de sable et les fortes amplitudes thermiques. Elle reflète un mode de vie adapté aux contraintes de l’oasis.

Un système constructif hérité et durable
Le montage des murs en kershef s’effectue par superposition de blocs, liés par de la boue. Les ouvertures (portes et petites fenêtres) sont rares et de dimensions réduites, pour limiter les déperditions thermiques et l’infiltration de poussière. Ce choix contribue à maintenir une atmosphère fraîche à l’intérieur.
Les linteaux au-dessus des ouvertures sont traditionnellement réalisés à partir de troncs de palmier, abondants dans l’oasis. Ces éléments confèrent à l’ensemble de la construction en kershef une grande sobriété et une solidité adaptée aux séismes mineurs qui peuvent affecter la région.
Les toits plats, constitués de palmes tressées recouvertes de terre, forment une barrière supplémentaire contre la chaleur. Ils facilitent également la récupération de l’eau de pluie, une ressource précieuse dans cet environnement aride. Ce procédé valorise les ressources locales et limite les besoins externes.


Adaptation climatique et savoir-faire local
La configuration des maisons de Siwa répond aux exigences climatiques :
- Orientation étudiée pour limiter l’ensoleillement direct
- Absence de grandes baies vitrées
- Espaces de circulation réduits pour maximiser la compacité et limiter les pertes énergétiques
Le kershef, en raison de sa teneur en sel, absorbe et restitue lentement l’humidité, maintenant une atmosphère intérieure plus confortable. Ce principe de régulation hygrothermique s’avère très bien adapté aux variations saisonnières de la région. L’entretien des habitations nécessite un savoir-faire particulier. Le kershef, matériau fragile face aux pluies intenses, impose des réparations fréquentes :
- Reprise des enduits
- Remplacement ponctuel de blocs érodés
- Consolidation des murs porteurs
Ce travail, assuré par les habitants eux-mêmes ou par des artisans spécialisés, perpétue une tradition communautaire et favorise la transmission des gestes techniques.

Vie sociale et organisation urbaine
Les maisons de Siwa s’inscrivent dans un tissu urbain dense, marqué par des ruelles étroites et sinueuses, qui favorisent l’ombrage et la ventilation naturelle. Les constructions sont souvent mitoyennes, ce qui réduit l’exposition des façades aux vents chauds et optimise l’usage du sol, rare dans l’oasis.
Chaque quartier s’organise autour d’un espace public ou d’une place, parfois dotée d’un puits. Cette organisation encourage la solidarité entre les familles et la gestion partagée des ressources. Le modèle architectural répond ainsi à des contraintes physiques et à des logiques sociales et communautaires.


Évolution et enjeux contemporains
Depuis le XXe siècle, l’introduction de matériaux modernes (béton, parpaings, tôle) bouleverse les équilibres traditionnels. Si ces innovations répondent à une demande de confort accru, elles modifient la silhouette des villages et affectent les performances thermiques des habitations.
- Moindre performance thermique
- Perte de l’identité paysagère
- Difficulté de recyclage
Face à ces enjeux, plusieurs initiatives locales encouragent la préservation et la restauration du patrimoine en kershef. Des programmes de formation sensibilisent les jeunes générations aux techniques de construction ancestrales, tout en intégrant des adaptations contemporaines :
- Optimisation de la ventilation
- Utilisation raisonnée des ressources
- Valorisation du bâti ancien comme vecteur d’attractivité culturelle

Une architecture exemplaire
Les maisons de Siwa sont une réponse cohérente et raisonnée à l’environnement du désert égyptien. Leur conception, fruit d’une longue expérience collective, conjugue efficacité climatique, économie de moyens et simplicité formelle. Ce modèle architectural mérite d’être étudié et transmis, tant pour ses qualités intrinsèques que pour les enseignements qu’il offre en matière de construction durable.
Siwa constitue ainsi un laboratoire vivant, où les savoirs vernaculaires inspirent les pratiques architecturales contemporaines et contribuent à repenser la relation entre l’habitat, le climat et la société.

