Le mot « dacha » vient du verbe « dat » (donner) et du nom « dar » (cadeau). Depuis de nombreuses années, recevoir une parcelle de terrain pour un usage personnel est un grand cadeau très apprécié : que ce soit du gouvernement tsar ou du gouvernement soviétique. Mais la façon dont les gens utilisaient cette terre différait beaucoup selon les époques. On ne peut pas comprendre pleinement la Russie sans comprendre le contexte culturel de la datcha russe.
La dacha russe avant la Révolution de 1917
Les premières datchas en Russie sont apparues au début du 18ème siècle sous Pierre le Grand. Il voulait que ses subordonnés restent près de lui même en vacances, et il leur a accordé des parcelles près de Saint-Pétersbourg. Ces parcelles de terre ont été stratégiquement positionnées sur le chemin de Peterhof, la résidence du tsar, afin qu’il puisse toujours s’arrêter et voir comment ses gens passent leur temps libre.
En 1803, le fameux historien russe Karamzin écrivait qu’en été Moscou se vidait, puisque les gens allaient aux datchas. Et vers le milieu du 19ème siècle, les datchas russes sont devenues l’endroit préféré pour se reposer et s’amuser pour tous les aristocrates qui pouvaient se permettre un tel passe-temps. Les Datchas étaient souvent de simples maisons en bois, mais avaient toujours une terrasse où les habitants pouvaient dîner, boire du thé et s’amuser pendant les longues soirées d’été. Mais tout le monde ne possédait pas sa datcha, certains la louait pour l’été et y allait généralement avec toute la famille et les serviteurs.
La datcha russe à l’époque soviétique
La révolution d’octobre 1917 a entraîné avec elle une loi, qui interdisait la propriété privée de la terre en Russie « pour toujours ». L’idée sous-jacente était que tous les citoyens du pays pouvaient utiliser toutes les ressources du pays, que toutes les personnes étaient égales et qu’aucune ne pouvait exploiter d’autres personnes ni être plus riche. Les nouvelles valeurs de la République soviétique étaient principalement collectivistes. Et au lieu de datchas individuellement possédées, la population générale a obtenu l’accès à des installations récréatives de groupe telles que des sanatoriums. Une expression populaire soviétique était : « Tout autour de moi appartient au peuple, tout autour de moi m’appartient ».
Il y avait cependant un autre dicton : « tout le monde est égal, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Josef Staline, qui gouverna le pays de 1924 à 1953, aimait lui-même se détendre à la campagne. Il avait beaucoup de datchas dans les parties les plus pittoresques de la Russie : de la région de Moscou à la mer Noire. Il s’agissait d’immenses manoirs, entièrement équipés et prêts à l’accueillir chaque fois qu’il décidait de s’y présenter.
Staline a pensé que l’octroi d’un privilège tel que la datcha d’été à ses plus proches collaborateurs au sein du gouvernement et aux personnalités de la culture et de l’élite scientifique serait très motivant pour eux. Ces datchas n’appartenaient pas à leurs habitants, les meubles et les lampes avaient des numéros, mais ces datchas étaient un grand luxe et étaient considérées comme un privilège énorme. Pour simplifier les choses : les datchas étaient regroupées par occupation, c’est ainsi qu’il y a encore des « villages » d’écrivains, de compositeurs, d’artistes, de scientifiques, etc. À cette époque, tous les datchas étaient un lieu de repos, de pêche, de collecte de baies et de champignons, et de divertissement avec les amis.
Après la seconde guerre mondiale, les ressources alimentaires limitées du pays ont forcé le gouvernement à permettre aux gens d’obtenir des parcelles de terre et de soutenir les familles en y cultivant des légumes. Cependant, la construction d’une maison sur le terrain était strictement interdite. Dans les années 60, pendant la période de pouvoir de Nikita Khrouchtchev, les gens ordinaires ont finalement été autorisés à avoir des datchas. Mais ce n’était pas facile d’en obtenir une. La distribution était fondée sur le mérite, il fallait se conformer pleinement à l’idéologie et attendre longtemps, parfois pendant de nombreuses années.
Ces datchas n’étaient pas aussi luxueuses : c’était habituellement juste un tout petit terrain avec la permission de construire une petite maison d’un étage. Les habitants pouvaient l’utiliser pour cultiver des produits strictement pour la consommation familiale (pas pour la vente). Pourtant, les gens le ressentaient comme si c’était leur propre terre, c’est ainsi qu’obtenir une datcha est devenu un des rêves des soviétiques, dans la même idée que d’obtenir un appartement ou une voiture. Il y avait beaucoup de manipulations pour tenter d’obtenir une datcha russe plus rapidement. En Russie, la loi et les règles étaient toujours particularistes, donc si vous connaissiez quelqu’un, vous pouviez arriver à avoir la datcha désirée beaucoup plus rapidement.
Construire une maison n’était pas facile. Il y avait un déficit de matériaux de construction. Il est difficile d’imaginer cela maintenant, mais on ne pouvait pas simplement aller à un magasin et acheter du bois ou des briques ou autre chose, il fallait « obtenir » les matériaux nécessaires en quelque sorte à travers son réseau de contacts ou les payer trois fois leur prix sur le marché noir.
C’est la période où la fonction de la datcha russe a commencé à se transformer : elle est devenue un lieu de travail plutôt qu’un endroit pour se reposer et se divertir. Cette fonction de la datcha était très utile dans les temps turbulents des années 90, quand la nourriture était rare dans les magasins et les gens ont vraiment soutenu leurs familles en cultivant des pommes de terre, des concombres, des produits frais, des baies et des pommes sur leur terre. Beaucoup de produits cultivés étaient conservés pendant l’hiver sous forme de conserves ou salés ou de confitures maison.
La datcha russe des temps modernes
Dans les années 90, il a été finalement autorisé de posséder des biens. C’est une autre grande et intéressante histoire, mais le résultat a été que les gens ont commencé à acheter des datchas s’ils avaient de l’argent. Ou, s’ils avaient déjà des datchas, ils pouvaient les privatiser, en en faisant officiellement des propriétés possédées. Les restrictions sur la taille du terrain ou le nombre d’étages dans la maison ont également été levées. Enfin, les gens pouvaient faire ce qu’ils voulaient sur leur propre terre. Curieux de savoir ce qui s’est passé ensuite ?
Les gens, qui étaient toujours privés d’une telle gamme de choix ont commencé à expérimenter. De riches russes commencèrent à construire d’immenses manoirs sur leurs petites parcelles. Beaucoup de ces maisons manquaient de goût ou de style. Des générations de population locale n’avaient encore jamais vu de belles maisons de campagne et l’industrie commerciale dans ce secteur n’était pas encore développée. La tradition de la construction de maisons en bois a été remplacée par la construction de briques ou de pierres. Les datchas étaient autrefois des maisons d’été, mais maintenant beaucoup de gens ont commencé à construire des maisons pour l’année.
Maintenant, enfin, l’industrie fonctionne aussi bien que dans n’importe quel autre pays et si vous voulez construire une belle maison de n’importe quel style, elle sera construite pour vous. Mais ce sera cher. Comme avec tous les biens et services commerciaux en Russie : des vêtements à la manucure, vous payez pour les bonnes choses !
Alors, comment les gens passent-ils du temps dans les datchas maintenant ? Cela varie. Beaucoup de gens travaillent encore toute la journée, en cultivant des pommes de terre, des concombres, des fraises, etc. La majorité de ces personnes ont des emplois à temps plein dans la ville, ce ne sont pas des travailleurs agricoles, mais tous les vendredis soirs ils quittent la ville pour avoir un week-end à la campagne. Parfois se rendre à une datcha qui est 50-100 km de la ville peut prendre 3-4 heures. Il n’est pas possible de donner une explication rationnelle de la raison pour laquelle ils continuent à cultiver des pommes de terre, bien qu’ils puissent facilement les acheter dans n’importe quel magasin. Économiquement, cela n’a pas de sens, mais les gens sont irrationnels. Pour certains c’est une habitude, pour d’autres (surtout les personnes plus âgées) ils aiment cultiver la terre de leurs propres mains.
Pourtant, beaucoup de gens pensent à la datcha comme un endroit pour s’amuser. Ces gens tondent leurs pelouses et plantent des fleurs, ils doivent alors faire leur part de travail sur le terrain pour que leur datcha ait un look présentable. Mais au lieu de passer tout le temps dans le jardin, ils invitent des amis et se divertissent, grillent de la viande, mangent des fraises, font du sport et apprécient d’autres activités récréatives. Espérons que ceci deviendra une tendance de masse et que plus de gens apprécieront le repos à la datcha plutôt que le travail !
Source et crédits photos : understandrussia.com, wikipedia.org.
Les gens continuent à cultiver des légumes car ils n’ont aucune confiance dans l’économie de leur pays. Beaucoup ont encore en mémoire les années 90 pendant lesquelles les aliments de base manquaient souvent. Révolution, putsch, crises font partie de l’histoire de ce pays. De plus, une grande partie de la population ne touche que des salaires de misère et les légumes en conserve et les pommes de terre sont la base de tous les repas pendant l’hiver.
Les gens qui ont pu quitter la Russie après la chute de l’URSS parlent de leur Datcha qui la plupart du temps n’était qu’une petite parcelle de terre comme les jardins ouvriers en France. Seul un abri de jardin y était construit pour y garder les outils. Ils cultivaient des légumes et des petits fruits pour eux-mêmes et qui manquaient dans les magasins devant lesquels il y avait souvent une longue queue; par ailleurs la qualité des produits cultivés pour soi-même était supérieure à celle des produits des magasins. Les jardins ouvriers que l’on pourrait appeler Datchas, ont existé pendant longtemps en France et étaient octroyés par des compagnies telles que la SNCF… Certaines municipalités comme Caen continuent à en louer à des particuliers aujourd’hui, sous réserve qu’ils soient cultivés.