Les huttes du peuple Anuak, rondes, basses et coiffées de chaume, incarnent un mode de vie en union avec la terre, l’eau et les traditions. Elles sont l’identité d’un groupe, sa mémoire collective, et sa capacité à vivre dans un environnement difficile. Et certaines d’entre elles sont subtilement ornées de motifs sculptés dans l’argile, ajoutant une dimension symbolique et esthétique à ces architectures de terre.
Les Anuak sont une population d’Afrique de l’Est, vivant dans l’est du Soudan du Sud et l’ouest de l’Éthiopie, dans la région de Gambela. La plupart des photos présentées dans cet article sur ces huttes traditionnlles anuak ont été prise dans le village de Gambela par Eric Lafforgue.
Une forme circulaire, pratique et symbolique
La hutte Anuak est circulaire. Ce choix n’est pas juste pratique : il reflète une vision du monde. Le cercle symbolise la communauté, l’unité, la continuité. En termes d’ingénierie, cette géométrie permet une bonne répartition des forces, une résistance accrue au vent, et une bonne gestion de l’espace intérieur.
Le toit, conique et très incliné, est recouvert de chaume local (herbes hautes séchées, roseaux ou feuilles de palme selon la région). Cette pente accentuée permet à l’eau de pluie de s’écouler rapidement, évitant les infiltrations. L’avant-toit déborde largement, créant un ombrage naturel et offrant une protection supplémentaire pour les murs en terre crue (et les habitants) contre les intempéries.
Matériaux locaux et savoir-faire collectif
La construction repose entièrement sur les matériaux disponibles sur place. Le squelette de la hutte est composé de pieux de bois ou de bambou souple, fixés dans le sol puis liés par des fibres végétales. Des branches ou tiges souples sont entrelacées pour former les parois, recouvertes ensuite de torchis, un mélange d’argile, de terre, de paille et parfois de bouse de vache. Ce mélange est à la fois isolant, résistant et respirant. Il maintient la fraîcheur en journée et conserve la chaleur la nuit.
La fabrication d’une hutte Anuak est un projet généralement communautaire. Les hommes montent la structure, les femmes préparent le torchis et appliquent les enduits. Cette répartition des tâches renforce les liens sociaux et transmet les techniques de construction de génération en génération.
Un espace de vie pensé pour la communauté
À l’intérieur, l’organisation est fonctionnelle. Le foyer, toujours central, sert à la cuisson, au chauffage et à l’éclairage. Autour, des nattes sont posées à même le sol pour dormir ou s’asseoir. Des niches ou des paniers suspendus permettent de stocker les denrées, les outils ou les objets rituels.
Les huttes sont regroupées en petits hameaux ou villages, disposés en fonction des cours d’eau, des terres cultivables et des arbres. Chaque unité familiale possède une ou plusieurs huttes : l’une pour dormir, une autre pour cuisiner, et parfois encore une de plus pour les réserves ou les animaux.
Des décorations en relief : art et mémoire
L’un des aspects remarquables de certaines huttes Anuak est leurs décorations murales tracées dans l’argile encore fraîche avant séchage. Ces dessins ondulés ou courbes peuvent évoquer :
- l’eau et son mouvement,
- les veines de la terre nourricière,
- des symboles de fertilité ou de protection,
- ou tout simplement des formes esthétiques dictées par l’inspiration.
Ces ornements sont réalisés par les femmes, détentrices du savoir-faire de l’enduit et du modelage. Chaque motif est unique. Il peut signaler un événement familial, un statut social, ou marquer une hutte cérémonielle. Avec la lumière rasante du matin ou du soir, ces reliefs prennent vie. Ils donnent aux murs de terre une texture mouvante, presque vivante. Ils transforment l’architecture en œuvre d’art.
Un patrimoine en mutation
Les huttes Anuak, pourtant adaptées à leur environnement, sont aujourd’hui menacées. L’urbanisation, les conflits, les déplacements de populations et l’introduction de matériaux industriels (tôle, ciment) participent à leur déclin. Pourtant, elles incarnent une approche durable et résiliente de l’habitat.
De plus en plus d’architectes et d’anthropologues plaident pour leur conservation. Non pas comme vestiges du passé, mais comme sources d’inspiration pour des constructions écologiques modernes, enracinées dans leur territoire. Les huttes Anuak nous montrent une autre façon d’habiter la terre : une architecture façonnée à la main, avec patience, beauté et sens. Chaque hutte est une mémoire d’argile. Et on perçoit une leçon d’équilibre entre l’homme, son environnement et sa culture.
Crédits photos : Eric Lafforgue, mimikita47.