Les maisons traditionnelles de Kars

En 1819, Ker Porter a écrit que 10 000 familles vivaient à Kars, ce qui implique qu'il y avait peut-être 10 000 maisons. Mais sa population est probablement une exagération. W. J. Hamilton, écrit en 1842 qu'avant le siège de 1828 et la capture de Kars par les Russes, il y avait 3000 maisons dans la ville. Il a noté que la majorité des maisons traditionnelles de Kars étaient en ruines et n'était pas encore réparées.

Les assauts de 1855 et 1877 ont détruit plus de bâtiments, tout comme les développements urbains pendant la période de contrôle russe. Au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, le plus grand réaménagement était concentré dans les secteurs de Kars qui avaient été aménagés pendant la période russe. Les anciens quartiers ont été laissés à l'abandon. Cependant, dans les anciens quartiers, une démolition et un réaménagement ont commencé à partir du milieu des années 1990.

Les spécificités des maisons traditionnelles de Kars

La plupart des maisons traditionnelles de Kars ont un étage, sont construites en pierre de basalte et ont des toits plats. Des blocs de pierre taillés sont utilisés sur les façades de la rue, avec des pierres grossièrement utilisées pour les autres murs. Les murs de pierre sont divisés par des bandes horizontales de bois, ce qui améliore l'intégrité structurelle, surtout lors des tremblements de terre. Les toits sont faits d'une épaisse couche de terre comprimée qui repose sur des poutres en bois.

Les maisons de Kars semblent ressembler aux maisons en pierre d'Erzurum. Mais à Kars, une plus grande quantité de bois est utilisée dans la structure. Cela est probablement dû à la proximité des forêts de pins autour de Sarikamish. D'autres différences sont l'utilisation de balcons ouverts, l'utilisation de bois avec souvent une sculpture en bois d'ornement. Soit cette tradition s'est poursuivie dans les maisons de la période russe, soit ces balcons sont en fait des ajouts de la période russe.

Les entrées des maisons traditionnelles à Kars sont généralement petites et pas spécialement impressionnantes. Ce sont des portes en bois, cloutées de rivets en métal. Il y a souvent un escalier extérieur pour monter à l'étage, ce qui suggère que le rez-de-chaussée est principalement destiné au stockage ou aux animaux. Le fait que les murs des rez-de-chaussée ne soient généralement pas plâtrés, et qu'ils soient seulement éclairés par de petites fenêtres, confirment cette idée.

Une caractéristique structurelle intéressante dans les maisons traditionnelles de Kars est l'utilisation de poteaux en bois massifs. On peut les voir dans les pièces du rez-de-chaussée qui supportent une partie du poids de l'étage supérieur tout en permettant la création d'une plus grande zone ouverte au rez-de-chaussée. Un bon exemple de ce genre de poutre se voit à l'intérieur du rez-de-chaussée du bâtiment "Gazi Ahmet Muhtar Pacha" (ci-dessous), qui a été transformé en musée.

Organisation intérieure et vie domestique

L’organisation intérieurereflète une économie rurale fondée sur l’autosuffisance et la hiérarchie familiale. Les espaces sont fonctionnels et articulés autour de la pièce principale appelée baş oda. Cette salle polyvalente sert à la fois de salon et de chambre pour les invités. Elle est souvent équipée d’un ocak (foyer mural) pour la cuisson en hiver, car les températures descendent régulièrement en dessous de −20° dans la région selon les données climatiques de la Direction générale de météorologie de Turquie.

Les pièces sont couvertes de tapis tissés localement, les kilims, et les banquettes basses appelées sedir longent les murs. Les maisons ont rarement de grandes ouvertures en façade. Cela répond à une logique thermique : limiter les pertes de chaleur tout en réduisant l’exposition aux vents du Caucase. Les fenêtres sont ainsi petites, souvent alignées en bande sous la toiture, ce qui permet de préserver la chaleur accumulée par les murs massifs en basalte. Ce principe de construction bioclimatique a été documenté par l’architecte-restaurateur turc Cengiz Kabaoğlu dans son étude sur l’architecture de Kars.

Au rez-de-chaussée, on trouve également une zone de stockage pour le bois, les céréales ou le foin, ainsi que des espaces destinés aux moutons ou quelques vaches, comme dans de nombreuses maisons traditionnelles d’Anatolie orientale. L’absence de plâtre sur les murs inférieurs et la présence de sols en terre battue confirment l’usage utilitaire de cet étage, ce qui a également été observé par R. Godfrey dans sa description des maisons de Kars à la fin du XIXᵉ siècle.

Préservation patrimoniale et restauration des maisons

La question de la conservation des maisons traditionnelles de Kars est devenue centrale depuis les années 2000, au moment où le centre historique a commencé à se dégrader rapidement sous l’effet de l’exode rural et des transformations urbaines non régulées. Le ministère turc de la Culture et du Tourisme classe aujourd’hui plus de 120 bâtiments historiques à Kars comme biens culturels protégés.

Plusieurs projets pilotes ont été lancés pour freiner la disparition des maisons en basalte et encourager leur réhabilitation. En 2011, l’Université Kafkas de Kars a coordonné un inventaire architectural ouvrant la voie à la restauration du quartier de Kaleiçi, le plus ancien de la ville.

Cette initiative a été soutenue par la Banque mondiale à travers un programme de revitalisation patrimoniale intégré aux plans de développement du corridor touristique Kars–Ani.

Les restaurations coûtent cher en raison du manque d’artisans maîtrisant les techniques traditionnelles comme l’assemblage bois-pierre ou la taille du basalte. Un rapport de l’ICOMOS Turquie souligne aussi le risque de "restauration décorative" au détriment de la substance architecturale authentique. Pour répondre à cette problématique, un programme de formation en métiers du bâti ancien a été lancé en 2019 à Kars, en partenariat avec le Turkish Heritage Foundation et la Kars Municipality Craft School.

Ces efforts visent à faire des maisons traditionnelles de Kars un élément de mémoire architecturale, mais également un levier de développement durable fondé sur un tourisme culturel responsable. La valorisation récente de certaines demeures transformées en maisons d’hôtes ou cafés culturels dans le quartier ancien montre une dynamique de réappropriation locale du patrimoine bâti.